mardi 20 décembre 2011

Scène 22 - Cherry Fantaisie


Un immense dressing s’élève derrière moi.

Je suis debout à la tête d'un lit. Est déployée cette grande surface enfantine : une couette bleue et bariolée de petits motifs. Il y a aussi une commode flanquée dans le coin gauche. Et à la porte, un miroir sans ornements garde la frontière entre l'ici et l'ailleurs.

Je n’ai pas vraiment de conscience encore. Au sein de mon immobilité je fais partie de cette communauté intime. De ce souvenir figé, intemporel.

J’épie le silence. Dans le calme je perçois mon premier mouvement.

Je me retourne alors, et ouvre doucement un pan du placard blanc.

Je suis attirée par cette enfilade de robes et de chemisiers aux tissus légers dont s’élève un parfum sucré.

Ma main flotte au dessus de toutes ces choses. Je les adore. Je me dénie le droit d'y toucher.

Rassurée par ma maîtrise devant ces idoles, j’ouvre plus vivement l’autre volet. J’y découvre d’autres vêtements.

J’y respire les délices de parfums plus entêtants.

Je me dirige ensuite vers la commode.

J’entre-ouvre un tiroir, et j'effleure du bout des doigts une chemisette de soie.

La sensation irradiante de l’étoffe me ravage. Deux pas de distance entre moi et ce trésor me sont nécessaires pour me ressaisir.

J’abandonne prudemment.

J’opte pour un peu de repos sur le lit, une main derrière la nuque.

Bien vite, son visage s’inscrit au fil de mes pensées, ainsi que l’image d’une cerise. Jusqu’à ce que le fruit lisse roule à mes lèvres comme un baiser et que je morde dans sa chaire acidulée. Sa chaire irréelle est infinie, et je n'y trouve jamais son noyau. Du jus écarlate reflue abondamment de ma bouche vers le lobe de mes oreilles. Ma nuque baigne un peu dans cette tiédeur, que les murs dégorgent maintenant par ressacs grenat. La pièce se plonge dans une nuit profonde, d’où surgit un fantôme à son image.

Mais j’entends soudain les pas redoutés. Je me camoufle sous la couette, droite comme un i, inerte comme une pierre, un édredon, mon esprit lui-même se tue.

Lourdement un corps s’installe sur le lit. Un visage contre mon visage. Un buste contre mon buste. Ses jambes et ses cuisses contre les miennes.

Puis la tête pivote, et mes lèvres baisent sa joue, mes narines hument ses tempes. Elle ploie, s’étire, se recroqueville, et manifeste son aise sur le lit, jambes éparses.

Sa tête revient vers moi, et nos lèvres à quelques centimètres de rêve se touchent. Bouche bée, je crois alors avaler son haleine. J’entends sa respiration. Et son corps plus lourd lorsqu’elle inspire, semble me faire l’amour.

Et son corps plus lourd lorsqu’elle inspire, semble me faire l’amour.

Et son corps plus lourd lorsqu’elle inspire, semble me faire l’amour.

Et son corps plus lourd lorsqu’elle inspire, semble me faire l’amour.

Et son corps, plus lourd, lorsqu’elle inspire, semble me faire l’amour.

Et son corps, plus lourd, lorsqu’, elle inspire, semble me faire l’amour.



dimanche 18 décembre 2011

Scène 21 - Mauvais baiser de nuit

Au bord de la piste, je suis au bord de la catatonie. Une caresse de sa langue... Dans sa bouche l’anguille se barre. Je me tapis à la frontière. Je patiente. J’espère que les subtilités vont bientôt s’épuiser d'elles-mêmes. Je suis transie de chaud. Ses lèvres m’épousent, timorées. Ses baisers se suivent selon une discipline toute cinématographiée. A mon grand bonheur, sa langue fourche parfois. Et j’attrape en bouche les modestes nébuleuses. Mais rien d’éclatant, rien de farouche.
Mon désir fait la gueule. Je retourne hardiment pour une galoche. Au dernier moment ma mâchoire et mes pommettes tressautent devant l'audace. J’arrive gauche en territoire propret. Et là, je réalise l’embrouille. Il est déjà trop tard pour dissimuler cet animal cochon qui me sert de langue.

Je me résigne : notre baiser est inintelligible pour l’une et pour l’autre. Il est discordant.

Elle aime les baisers donnés au check point, non invasifs, et avec permis de s’installer illusoire. Et moi je crève. Qu’elle me mette une chevrotine, que je tombe, qu’elle s'octroie tous les droits ! Mais rien. Mais rien ! Elle bécote. Elle suçote ! J'ai la poitrine en boule.

Nous sommes mal à l’aise. Je me rabats sur l’odeur piquante et exotique de son shampooing bon marché. Sur sa peau, ça me bouleverse. Je respire tout le rayon franprix sur son cou. Je bois le bidon de mousse jusqu’à la lie.


Une de ses potes l’attrape. Règlement de comptes. J'arrête les frais. Je file vers la sortie.


Au petit matin je ne dors pas. Je me lève. Je vais boire une rasade pour neutraliser ce qui dans mon front annonce l’étau d’une belle gueule de bois. De retour dans mon lit je tourne. Je ne trouve pas le sommeil. Je me tourne encore. Emerge soudain un bras, puis un corps que je tiens. Les proportions me sont familières, l’odeur de rose et de bois aussi. Je regarde autour de moi, je suis dans une chambre sous les toits, au papier peint bleu usé. La lucarne nous surplombe, et la lumière d’un soleil tape sur les draps. Je ne suis pas effrayée. Je demande.
_Qui es-tu ? J’ai l’impression de te connaître.
_ Tu me connais.
_Mais et toi comment me connais-tu ?
_Je te vois tous les jours entre la 32e heure et la 111e heure de la journée.

J’hésite, je veux retirer le drap qui couvre sa tête et me cache son visage. J’ai peur de faire face au mien. Puis je songe l’instant d’après y trouver mon premier amour.
_Ca t’embête si je t’appelle Céline ?
Céline est ce premier amour, il s’accorde avec celui que je ressens.
_Céline, je crois que je t’aime.
_Oui tu m’aimes déjà.
_Et toi est-ce que tu m’aimes ?
_Il faut bien.
_ Mais c’est horrible. « Il faut bien. »

Mon corps est agité, et j’ai soudain du mal à respirer. Elle s’approche et me prend dans ses bras. Mon amour grandi, son réconfort grandi, mais ma poitrine se serre soudain. Mon corps convulse. Mon regard se voile. Ma respiration est contrainte.
_Qu’est ce qu’il se passe ?
_ C’est ton corps, il est entre les deux mondes.

Mon corps souffre là-bas. Il meurt. Si ce drap tombe, si je vois ce visage, je resterai là captive, ou je n'aurai pas le temps de retourner dans mon monde. Je bataille avec le peu de souffle qu'il me reste.
_ Je ne veux pas rester ici, passer ma vie entière avec une fille qui ne m’aime pas et que j’aime. Je veux retourner dans l’autre monde.

Une convulsion me harponne, je lutte pour trouver une respiration vitale. Toutes mes pensées se focalisent sur mon retour, je veux chercher une autre fille. La paralysie me déborde, je perds conscience avant d'étouffer. Plus rien.

Je suis de retour dans mon lit. Mon coeur est douloureux, ses battements dégringolent, désordonnés. Suis-je bien de retour ? La baie est ouverte sur le soleil d’hiver.

Je l’appelle. Je sais qu'elle n'est pas loin.
_Reviens. Reviens me prendre dans tes bras.

Puis finalement je me tais.

bande-son : Orange -The Dandy Warhols

samedi 16 juillet 2011

Scène 20 - Danse, danse, danse

Alice et Gia m’encanaillent de leurs œillades depuis une bonne heure . Roulements de hanches sur la piste de danse, conversations animées par des bouches agitées et suggestives. L’affaire est claire.

« Hum… en général, dis-je, lorsque j’ai deux filles qui me plaisent, je ne choisis pas forcément… si ça vous va, on va chez qui ? »

J’attrape le cou de l’une et embrasse le cou de l’autre. Finalement, nous trouvons une chambre dans le premier hôtel venu.

La bave aux dents, je grimpe sur Alice, ouvre brutalement son chemisier, empoigne ses seins et la mord jusqu’au sang. Un cri profond sort tout à coup de ma propre gorge : Gia vient de me lacérer le dos, prenant part au début des réjouissances avec la même intensité. Telle une Furie aux aguets, elle réclame ses baisers sales, s’affaire à forcer mon entre-jambe, me déshabille toujours un peu plus à chaque passage. Le jean tombé aux cuisses, je lutte à genoux presque nue.

Alice en profite pour se hisser vers mes flancs et m’écorche d’un trait. Je décoche violemment une gifle. Sa tête virevolte dans un souffle court. Lorsque qu’elle revient lentement à moi, elle babille de plaisir, et se recouche comme une chatte affectueuse entre mes cuisses. Son buste est fort, d’un blanc pâle. Ses veines apparentes se déploient aux épaules comme des blessures. Elles me happent dans leurs abysses, et mes mains tremblent soudain. Je l’étrangle. Sa poitrine monte vers moi. J’y enfouis mon visage.

Gia se jette sur moi et me maîtrise. Je me retrouve poignets dans le dos, son bras à l’encolure. Alice se dégage et se dresse alors devant moi. Sourire narquois, amusée par ce retournement de situation, elle s’approche. Pour me narguer, elle souffle à mon oreille un air chaud et humide. Je sens la densité de ses seins s’écraser contre moi. Elle recule alors et me flanque une gifle. La rage me monte aux tempes. Je veux riposter mais Gia resserre sa prise. Je me résigne. Une autre gifle s’abat et me sonne. Je me rebiffe aussitôt. D’où vient celle-là ? Je marmonne des menaces entre mes dents. Elle m’adresse un baiser sur une joue, puis vole une nouvelle claque. Je m’embrase de honte et d’indignation. J’écope d’une autre volée. S’ensuit une série de gifles régulières. J’accuse cette grêle de coups, et à absorption complète du traitement, ma rébellion est éteinte. Désorientée, mes joues crépitent. Ma tête bourdonne un peu. Je distingue à nouveau le silence.

Quand j’ouvre les yeux, Alice part en direction du mini bar. Elle revient avec une bouteille d'eau et la déverse sur ma tête.