dimanche 18 décembre 2011

Scène 21 - Mauvais baiser de nuit

Au bord de la piste, je suis au bord de la catatonie. Une caresse de sa langue... Dans sa bouche l’anguille se barre. Je me tapis à la frontière. Je patiente. J’espère que les subtilités vont bientôt s’épuiser d'elles-mêmes. Je suis transie de chaud. Ses lèvres m’épousent, timorées. Ses baisers se suivent selon une discipline toute cinématographiée. A mon grand bonheur, sa langue fourche parfois. Et j’attrape en bouche les modestes nébuleuses. Mais rien d’éclatant, rien de farouche.
Mon désir fait la gueule. Je retourne hardiment pour une galoche. Au dernier moment ma mâchoire et mes pommettes tressautent devant l'audace. J’arrive gauche en territoire propret. Et là, je réalise l’embrouille. Il est déjà trop tard pour dissimuler cet animal cochon qui me sert de langue.

Je me résigne : notre baiser est inintelligible pour l’une et pour l’autre. Il est discordant.

Elle aime les baisers donnés au check point, non invasifs, et avec permis de s’installer illusoire. Et moi je crève. Qu’elle me mette une chevrotine, que je tombe, qu’elle s'octroie tous les droits ! Mais rien. Mais rien ! Elle bécote. Elle suçote ! J'ai la poitrine en boule.

Nous sommes mal à l’aise. Je me rabats sur l’odeur piquante et exotique de son shampooing bon marché. Sur sa peau, ça me bouleverse. Je respire tout le rayon franprix sur son cou. Je bois le bidon de mousse jusqu’à la lie.


Une de ses potes l’attrape. Règlement de comptes. J'arrête les frais. Je file vers la sortie.


Au petit matin je ne dors pas. Je me lève. Je vais boire une rasade pour neutraliser ce qui dans mon front annonce l’étau d’une belle gueule de bois. De retour dans mon lit je tourne. Je ne trouve pas le sommeil. Je me tourne encore. Emerge soudain un bras, puis un corps que je tiens. Les proportions me sont familières, l’odeur de rose et de bois aussi. Je regarde autour de moi, je suis dans une chambre sous les toits, au papier peint bleu usé. La lucarne nous surplombe, et la lumière d’un soleil tape sur les draps. Je ne suis pas effrayée. Je demande.
_Qui es-tu ? J’ai l’impression de te connaître.
_ Tu me connais.
_Mais et toi comment me connais-tu ?
_Je te vois tous les jours entre la 32e heure et la 111e heure de la journée.

J’hésite, je veux retirer le drap qui couvre sa tête et me cache son visage. J’ai peur de faire face au mien. Puis je songe l’instant d’après y trouver mon premier amour.
_Ca t’embête si je t’appelle Céline ?
Céline est ce premier amour, il s’accorde avec celui que je ressens.
_Céline, je crois que je t’aime.
_Oui tu m’aimes déjà.
_Et toi est-ce que tu m’aimes ?
_Il faut bien.
_ Mais c’est horrible. « Il faut bien. »

Mon corps est agité, et j’ai soudain du mal à respirer. Elle s’approche et me prend dans ses bras. Mon amour grandi, son réconfort grandi, mais ma poitrine se serre soudain. Mon corps convulse. Mon regard se voile. Ma respiration est contrainte.
_Qu’est ce qu’il se passe ?
_ C’est ton corps, il est entre les deux mondes.

Mon corps souffre là-bas. Il meurt. Si ce drap tombe, si je vois ce visage, je resterai là captive, ou je n'aurai pas le temps de retourner dans mon monde. Je bataille avec le peu de souffle qu'il me reste.
_ Je ne veux pas rester ici, passer ma vie entière avec une fille qui ne m’aime pas et que j’aime. Je veux retourner dans l’autre monde.

Une convulsion me harponne, je lutte pour trouver une respiration vitale. Toutes mes pensées se focalisent sur mon retour, je veux chercher une autre fille. La paralysie me déborde, je perds conscience avant d'étouffer. Plus rien.

Je suis de retour dans mon lit. Mon coeur est douloureux, ses battements dégringolent, désordonnés. Suis-je bien de retour ? La baie est ouverte sur le soleil d’hiver.

Je l’appelle. Je sais qu'elle n'est pas loin.
_Reviens. Reviens me prendre dans tes bras.

Puis finalement je me tais.

bande-son : Orange -The Dandy Warhols

Aucun commentaire: