dimanche 29 septembre 2013

Scène 35 - Le Baiser

Son visage s'altérait, trahie par l'angoisse de la mort. Elle palpait de ses mains le mur derrière elle pour y trouver du réconfort, quand d'un revers de tête qui me surprit par sa vigueur, elle plongea son regard dans le mien.  
Une force invisible la soutenait; m'appelait, au travers de ses lèvres mourantes. J'étais dévorée, aspirée, livrée à chacun des halètements qui faisaient fléchir ma volonté. Il me semblait combattre des milliers de bras, des milliers de lierres mortifères s'enroulant à mes poings et chevilles. En vain.

Au paroxysme d'un pouvoir qui m'était inconnu, elle drainait mes propres veines de leur sang, les transformant en câbles douloureux qu'elle ramenait avec hargne vers elle. Elle m'abimait d'un regard dont je ne pouvais plus me détourner, par crainte que son absence ne me brise sur le champ, aussi certainement qu'il me pénétrait à présent de son intensité. La pièce n'était plus qu'un brouillard dans lequel tournoyaient les lumières des chandeliers, et dont les éclats miroitaient si vivement à la surface de ses mèches blondes, que j'étais terrifiée à l'idée d'y voir apparaître le tonnerre et les serpents.
Je croyais encore livrer un terrible combat lorsqu'à quelques centimètres d'elle, je devinais l'ardeur des battements de son cœur, et sentis sur mon cou ses pommettes fiévreuses et la brûlure de ses lèvres. Ses bras entourèrent mon col : "  Meurs " soupira-t-elle. Le mot se répandit jusqu'à mon cœur comme un venin mortel. Son corps se crispa, torturé par la venue d'une toux sanglante dont je sentis la moiteur se répandre dans le creux de mon épaule. Au travers de ses yeux mi-clos je voyais encore sa bouche, moqueuse et provocante. 

Je la portais à présent, usant des dernières forces qui auraient pu m'arracher à son pouvoir. Elle me serra plus fort, pressa sa poitrine contre la mienne, si bien que les parfums de sa chevelure continuèrent de jeter sur moi de nouveaux filins. Vaincue, je n'aspirais plus qu'à la mort. Et alors que je goûtai à la saveur de son sang, je sentis à nouveau la douce pression de sa bouche sur ma nuque et ses bras se refermer autour de moi avant de m'entrainer lentement dans sa chute.  Une douce chaleur monta, un apaisement, la sérénité. J'enfouissais mon visage sous son menton, m'échappant définitivement du monde, repliée comme un oiseau mort. Ses ongles s'enfoncèrent dans ma chair quand elle fut balayée par une salve de douleurs. Et je l'attirai contre moi cependant que je la berçais. 

Je devinais le passage qui s'ouvrait à elle alors que s'engourdissaient ses membres. Je nous déposais toutes deux au sol. Sa tête s'agitait maintenant confusément alors que tout son corps gisait d'un sommeil lourd. Dans un dernier éclat, elle ouvrit des yeux calmes et froids, la bouche tordue par un grognement animal et une respiration bruyante qui gonflait sa poitrine. Elle agrippa mon col, racla ma peau de ses ongles jusqu'à la déchirure. J'eus un léger mouvement de recul pris d'un dernier sursaut en faveur de la vie, qu'elle devina aussitôt. Elle ficha ses yeux dans les miens, et m'embrassa d'un baiser dont je ne revins jamais.

Scène 34 - Salaud, amore

Comme j'ai abandonné l'amour, je suis retournée, quatre mois avant, là où j'en étais. Dans la haine, les mains, les épaules, la tête à peine sortie de cette flaque. 
Pour son premier jour, elle a voulu que je me mesure à elle. Elle m'a menée vers mon café habituel. J'ai rôdé là, sans amitié, sans désir de sérénité. J'ai laissé trainer mon regard dans les pupilles qui cherchaient le désespoir ou l'envie. J'ai trouvé. J'en ai trouvé un. Tignasse mal peigné comme je les aime ces jours là. Pas rasé depuis la veille, un peu râpeux sur les joues. Juste assez pour ne pas trop aimer être embrassé.

 Arrivés chez moi, je nous ai conduis à la chambre. Sans boisson, sans minaude. J'ai enlevé le haut, j'ai baissé le bas. Il a compris où je voulais en venir. Il m'a poussé sur le lit, m'a pénétré comme ça. J'ai arraché la moitié de son oreille, car il fallait bien un peu de mise en scène. Au moins pour lui; histoire qu'il ne débande pas. Mais il n'était pas du genre à se laisser impressionner par la scène. Il a joué son rôle de petit salaud qui, venu là, n'a rien d'autre à branler que son affaire. J'ai pris mon pied. Quand il a fini je l'ai rattrapé à nouveau par les oreilles, j'ai dit " encore une fois ".  

Le temps d'attendre la recharge, il a joué le joli-cœur entre mes cuisses - j'aime les langues de ces bonhommes là; franche et large, courant sur mon sexe de là à là. Puis il est revenu, il a tiré sa queue plusieurs fois. Moi je voulais qu'il cogne, qu'il s'enfonce dans le matelas avec moi. Mes mains sur son cul au travail, je n'avais rien d'autre que cette envie là.

Je suis retournée dans la haine. Celle qui vous met dans cet état. Celui de vous faire baiser par la mort et d'aimer ça.


dimanche 15 septembre 2013

Scène 33 - Amour interdit


- Salaud ! 

- Depuis le temps que j'attends que tu me dises ça. Salope. Lui ai-je répondu en me levant du canapé. De toute ma hauteur, je me suis avancé vers elle.

- Ce n'est pas ça que tu voulais ?  Depuis le temps que tu me le demandes. C'est pas ça qu'y 't plait ? Te faire traiter comme une pute ?

La claque a volé.

-Celle-là je l'attendais. Mais qu'est ce qu'elle est hypocrite. C'est tout ce que t'as dans la main ?

Ma claque s'est abattue plus lourdement sur sa joue.
Alors qu'elle portait la main à son visage, ahurie par ma réaction, elle voulut riposter en me bousculant. J'attrapai ses poignets et les emportai avec moi contre le mur, soufflant le reste de ma colère à son visage.

- C'est pas ce qui te fait bander un gros salaud entre les cuisses ? lui dis-je hargneux à l'oreille, alors que je fouillais dans sa culotte. ... Putain mais tu mouilles déjà salope, ai-je constaté d'un air dégoûté ... C'est pas ça que tu vas chercher auprès de Victor ? Un bon gros salaud friqué qui t'en fout plein la gueule ? Tu croyais que j'allais pas remarquer tous tes bleus la dernière fois ? Il a fallu que t'y retourne voir ce gros con. Et Justine ?  T'aimes ça quand elle te pille, hein ? Qu'elle te traite comme sa chienne. 

- Arrête ça, a-t-elle demandé révoltée par mes manières.

- Et ne pas profiter de ça ? m'exclamais-je en remontant mes doigts sous son nez et vers le mien. Mais ça ! Je ne vais pas m'en passer.  Non... On va redéfinir les choses. C'est juste fini le gentil amant épris qui t'aime et te chérit. C'est pas ça que t'es venu chercher chez moi, comme chez tous les autres d'ailleurs. Non.... c'est pas ça. Tu le sais ce que j'ai au fond des veines, hein ? C'est ça que t'es venue chercher.  

- Arrêêêête a-t-elle crié cette fois d'une voix qui appelait aussi du secours. 

Une main sur sa bouche, j'ai continué de la harceler, fourrant mon nez dans ses cheveux blonds.

- Les gens qui t'aiment ça te suffit pas, hein ? Il te faut un bon gros salaud qui t'écrase ? ... Tu vas quitter ton job demain. Tu ne vois plus tes putains d'amis les tarés. Tu ne sors plus. J'vais t'traiter comme ma petite salope puisque c'est ce que tu veux, et tu vas tellement aimer ça, que tu vas te briser. Tu vas pleurer. Tu vas en vouloir plus. Puis un jour tu vas me supplier de t'aimer. Mais ça sera déjà tellement loin tout ça. Tellement loin. C'est fini.

Rassérénée par un sursaut de peur, elle m'a échappé un instant, et a tenté de rejoindre le vestibule pour sortir de l'appartement. La voir partir me mit dans une rage noire. Je l'attrapai au milieu du salon par le bras.

- Tu es fou, a-t-elle lancé avec une autre claque que j'ai évitée.

 Nous avons esquivé chacun les coups furieux de l'autre. Mais dans un éclat de mains j'ai pu la saisir au cou. Je l'ai étranglée de longues secondes en la guidant à terre. Malgré ma prise elle a réussi à me surprendre et à m'entrainer dans un dernier tumulte au sol qui a tourné à mon avantage. Immobilisée sous mes cuisses et mes poings, j'ai recommencé, le sourire aux lèvres :

- Tu vas pas partir comme ça. Non... Tu vas pas partir, lui ai-je assuré d'un ton lugubre, une main à nouveau autour de sa gorge alors que je m'approchais pour l'embrasser. 

Au lieu de recevoir mon baiser, elle a chipé ma lèvre et l'a mordue en m'arrachant un cri et une douleur terribles. En retour je lui ai assénée une claque à la tempe qui l'a séchée au sol. J'ai alors humé sur sa peau les  effluves de sueur et empoigné sa poitrine encore haletante. Je suis allé m'enfouir dans son cou tandis que d'une main crispée et agacée j'ai commencé à déboutonner son chemisier. A la moitié des boutons défaits, elle s'est animée à nouveau, et j'ai préféré assurer ma prise sur son corps , me faisant admettre avec force entre ses cuisses. Puis j'ai mieux défait son pantalon, et glissé mes doigts dans son sexe. J'ai fouillé au plus loin dans les replis chauds. 

D'une main amollie par la fatigue, elle essayait vainement de barrer ma progression. J'ai lu son impuissance et sa supplique lorsqu'elle a compris qu'épuisée, son bras ne lui était d'aucune aide. Et pour accroitre son désarroi et la narguer j'ai délaissé un temps son sexe, et suis venu retirer lentement sa main de mon buste pour y déposer un baiser avant de revenir tout aussi facilement dans le renfoncement de ses cuisses et de commencer à la pénétrer. 

Mes yeux dardés dans les siens, j'avais hâte d'entendre un gémissement ou la formule d'une nouvelle supplique. Sous la pulpe de mes doigts, la chair molle s'est gonflée et a commencé à suinter. J'en étais si satisfait que ma caresse s'en est trouvé ragaillardie. Agressif, j'ai glissé plus haut et ramené plus bas les élastiques de la chair. Les tissus se sont tendus, révélant des reliefs qui m'invitaient à découvrir des recoins plus voluptueux en profondeur. Et j'ai entendu de sa bouche un premier murmure. Un murmure qu'elle a réprimé et qu'elle m'a refusé tant et si bien qu'il m'a encouragé à venir lui arracher avec plus de vigueur. 

Sournoisement, je l'ai câlinée un peu, j'ai bercé ses hanches, une main agrippée à sa taille. Puis refermant mes doigts haineux sur sa gorge, j'ai repris ma sauvagerie, menacé, serré sa petite gorge blanche. Son sexe qui s'ouvrait encore m'a emmené à taper dans la coudée profonde. Lentement, puis brutalement j'ai tambouriné agilement. De petits piaillements distillés entre des pleurs sont arrivées par flopées. J'ai continué mes allers et venus, infaillibles et cruels, gagnant toujours plus de vitesse, toujours plus de rudesse à mesure que je croyais la posséder. 
Mais concentré à trouver de quoi l'exciter toujours plus, j'avais tant relâché ma prise, qu'elle a pu me faire basculer à la renverse et s'est précipitée dans la cuisine. Je l'ai trouvé un couteau à la main, me refoulant en arrière pour la laisser passer.

- Non... lui-ai-je dit avec certitude. Tu ne pars pas. Tu ne partiras pas sans moi.

J'ai bondi sur elle, et au moment où je lui disputais le couteau, j'ai subitement attrapé ses mains et retourné la lame contre son ventre. Le métal s'est enfoncé avec si peu de résistance que j'ai recommencé et l'est planté encore. J'ai levé alors mes yeux vers elle, pour lire dans sa stupeur ce qu'il venait de se passer. J'ai vu s'écumer les premiers bouillons rouges à ses lèvres devenues soudain si blanches et asséné une autre entaille à son ventre. Elle a flanché cette fois sur ses jambes et s'est rattrapée à mon épaule portant son autre main vers les béances irréelles. 

 Au travers de ses yeux qui mouraient lentement, elle m'a regardé obliquement. Puis un hoquet l'a renvoyée à la souffrance et à la peur qui la transperçaient de part en part. Elle s'est mise à sangloter contre moi. En réponse j'ai enfoncé à nouveau la lame dans sa chair et l'ai emmenée avec assistance s'appuyer dos au mur. Elle y a chuté lentement, et tentant à peine de la retenir, j'ai fourré ma tête sous son menton et l'ai accompagnée dans sa chute. Tous deux au sol, je lui ai dis : 

"- C'est bientôt fini ", n'envisageant pas encore ce que j'avais voulu dire. 

J'ai placé le couteau poisseux dans sa main et guidé la lame vers la partie molle au centre de mon abdomen. Sa tête ballotante s'est levée péniblement. Sa détresse était au-delà des limites de ma compréhension. C'est alors qu'un éclaire de lucidité a frappé sa pupille et j'ai senti la douleur aigre, la froideur du métal percer mon ventre. La vomissure du sang a été impossible à contenir. 
Elle m'a ouvert comme ça, plusieurs fois. Ma tête a piqué dans le creux de son épaule. J'ai entendu ses respirations courtes s'accélérer et j'ai pleurniché alors que la peur remontait le long de ma poitrine.

-Attends-moi, ai-je supplié. Attends-moi.

 Mais elle est partie. Et je me suis mis à compter les secondes où je pouvais encore respirer la fragrance de son parfum.
      




mercredi 12 juin 2013

Scène 32 - Que d'la neige - j't'emmerde p'tit con

Ce midi j'ai carbonisé mon steak haché de la journée. J'ai peut-être voulu me punir ou alors j'ai été pris d'une vague de nostalgie pour le self de la Sorbonne III.
Me punir, parce que j'ai pensé longuement à piquer la carte de cantosh de ce petit con de Boyd quand il est parti prendre sa douche ce matin. Surtout lorsqu'il s'est foutu de mes trente piges et de mon manque de thunes, me rappelant que lui allait pouvoir sortir son cul à la Java.
Faire bander un première année et lui piquer sa carte de self... Putain. J'aurais du. P'tit con.

Les amours entre 18 et 25 ans ça manquent... c'était simple, les plus égaux. Pas les moins violents. Mais à cet âge là, chacun a sa chance de séduire. On te choisit pas vraiment selon ta CSP ou tes réussites.
Ce soir, aux Tuileries au moins j'éviterai " la " question. Tu peux mentir. Les gens s'en foutent.
Une fois j'ai menti à une soirée normale. Et le mec s'est enorgueilli de me faire la morale :  " ça " ne se faisait pas, il,  ne fréquentait pas des gens comme " ça ". Trop content de ne pas avoir d'excuse pour me larguer parce que j'avais pas le bon niveau social.
 Parfois je dis que je suis sapeur pompier. Une fois j'ai dit que j'étais architecte. Une fois j'ai dit que j'étais caissier. Ils te baisent pas de la même façon selon ce que tu leurs dis. Ils se laissent pas faire pareil non plus.

Je suis pas toujours malheureux de ma situation. Non parfois je suis bien. J'ai beaucoup d'activités la journée. Et puis de longues périodes de procrastination fertiles. En sperme, surtout. La dernière fois j'ai aussi passé quelques minutes à lire le blog d'un petit péteux qui écrivait comme lorsque j'avais 18 ans. Il utilisait le mot " ciel " partout où ça faisait beau, et puis il mettait des mots comme " distance ", " étendu " là où il se prenait pour un mec vachement profond, qui souffre, tu comprends, parce que sa petite copine lui a pas fait une turlute. Tout ça avec un phrasé à la Duras histoire qu'on sente la littérature tu vois. Je l'emmerde, lui et son espoir de cadet.

 Avec tout ça je suis loin d'il y a trois ans. Y'a trois ans j'ai voulu me pendre à ma porte. J'ai fait un gros nœud avec une écharpe bien épaisse, je l'ai balancée au-dessus de la porte et j'ai fermé. Ca tient bien comme ça. J'avais la tremblote, quand je suis monté sur la chaise. Je tenais plus bien debout. J'ai pas réussi à donner l'impulsion nécessaire. C'est la chaise qui partait peu à peu toute seule sous mes pieds. On se dit qu'on manque vraiment de courage. Et on se trouve plus minable encore. Y'a toujours un spectateur de trop. Mais j'avais peur de souffrir, que ce soit trop long, j'appréhendais la sensation et le bruit de la rupture de ma nuque. J'avais peur qu'on me retrouve pas avant un ou deux mois. Je voulais pas faire pitié aux gens dans ma mort. Qu'on sache que j'avais été retrouvé en putréfaction, dégoulinant et puant dans mon salon, mort dans la solitude. Ce qui est con parce que de toute façon la plupart d'entre nous allons crever dans la solitude. Mais plus vieux, avec un peu de chance ils seront crevés avant moi. Je ferai pitié à moins de monde. Puis je me suis laissé une chance de mourir beau. J'suis pas trop moche, même quand j'suis seul.

A la base j'étais déjà un peu seul et bizarre. Mais j'arrivais bien à passer inaperçu, et un peu perçu aussi, malgré moi, quand même. Puis après, ça s'est trop vu. J'étais pas comme tout le monde. On me tolérait plus qu'on me conviait aux petites sauteries. Enfin voilà quoi. Je sais pas y faire dans les groupes de toute façon. Y'a trop de règles débiles, je les emmerde. Eux et ma psy et son bouquin. Celle-là ça doit encore être une lesbienne. Quand elle parle j'entends que d'la neige comme dirait Pete.  Pete quand il se fout de la gueule des lesbiennes à la Java, c'est trop drôle. 

Enfin voilà, avec mes allocs je suis pas le plus bandant de la bande. Sauf si tu veux te faire un petit miséreux.
Quand ils me défoncent le cul, je sais que certains pensent à leur carte Gold et à mon statut de petite merde. Je m'y suis fait à les entendre venir par cette pensée là. Le soulagement qui vient par-dessus, c'est celui d'avoir réussi à ne pas être à ma place. Ils gnolent fort quand ils y pensent, ils chialent presque de joie. Ca me rappelle le bruit de la porte qui grince.

lundi 13 mai 2013

Scène 31 - L'hôte du Séraphin - Games of Sophia ( Partie I )

Sous mes pas les cailloux de l'allée craquellent, et mes talons s'enfoncent d'une manière plaisante. La nuit est calme. L'air porte les embruns lourds de l'été. La lanterne éclaire notre chemin vers la porte d'entrée du manoir. A notre arrivée, une sorte d' Alfred en os plus qu'en chair vient nous accueillir et prendre nos manteaux.

- Madame... Monsieur... Si vous désirez, une pièce est disponible à côté si besoin. Puis-je vous demander le mot de passe ?

Silas lui tend son carton, et j'indique le mot de passe.

- Dois-je aussi vous montrer la marque ?

- Non Madame, ce sera au régent de l'intérieur lorsque la cérémonie commencera. Entre temps Madame, veuillez ne pas trop le mentionner. C'est une soirée réservée. Monsieur Silas connait la maison, il saura vous récupérer quand ce sera l'heure.

L'homme nous enjoint à le suivre, et nous entrons dans un hall. Deux escaliers de pierre servent de part et d'autre le premier étage. 'Alfred' nous mène vers la porte en bois qui se trouve devant nous.

- Dois-je annoncer Monsieur ?

- Non merci Elliot, je crois que ce soir je préfère être discret en raison de notre invitée.

Les portes s'ouvrent et dévoilent une salle immense d'où pendent d'énormes lustres étincelants. Je moque un peu vers Silas.

" Ah donc il ne s'appelle pas Alfred ? "

Silas, qui me lance ses gros yeux de chat taquin, me répond :

" tu n'as donc pas vu le dernier épisode. Alfred a démissionné. "

Dans la salle, beaucoup d'invités sont attroupés autour de tables longilignes. Ils posent et reprennent leurs verres avec beaucoup de manières. Lorsque je m'approche, je comprends mieux l'engouement pour le mobilier. Il s'agit de coffrets en verre. Surélevés sur un châssis noir, ils offrent le loisir de mater des couples nus se caresser et s'emboiter nerveusement. Silas me précise que trois de ces cabines sont constituées de verres teintés, les deux autres, de verres transparents.

" Tu veux essayer ?, me demande-t-il.

- Si je commence je ne suis pas certaine d'en sortir tout de suite. Ca pourrait vraiment me plaire. Je vais commencer par faire un tour. "

Mise en valeur par des drapées et des tentures noires et dorées, la soirée est esthétiquement très réussie. Elle réunit quelques grands classiques du genre. J'apprécie notamment l'ornementation des croix de Saint-André, somptueusement parées de roses épineuses et de vignes. Un soumis exposé nu y arbore sous sa tête ballottante de fines griffures. Arqué sur ses jambes et désinvolte, martinet en mains derrière la tête, son maître attend qu'il se reprenne.  Sur les ailes de la salle je distingue quelques alcôves. Des convives déjà libérés des conventions de la vie courante s'y servent la gentillesse. Dans les escaliers, il y a fréquemment du passage vers l'étage. Là-haut sur le balcon je devine des visages s'enfoncer dans les décolletés et des corps glisser le long des colonnades.
Silas m'enjoint avec un enthousiasme communicatif de l'accompagner à la salle de machine à sous. Je remets donc ma discussion avec le maître shibari à plus tard.

Dans la petite salle du fond, trônent en effet plusieurs machines. Identiques à celles que l'on trouvent dans les foires à ceci prêt que le lot est différent. Habituellement, lorsque vous y mettez une pièce, le jeu consiste à essayer d'attraper - vainement - une peluche. Ici dans le premier boxe se présente une femme immobilisée dont les yeux ont été bandés. Son clitoris est mis en évidence par un bijou qui retrousse les grandes et petites lèvres de son sexe. Le jeu consiste manifestement à venir la chatouiller en maniant adroitement le joystick qui commande la fausse main qui gît au-dessus de son sexe. Les deux seconds boxes sont plus évidents. Un homme et une femme sont chacun entravés mains et jambes en l'air.  Pour une pièce, vous pouvez ainsi glisser l'appendice de votre choix dans un con ou dans un cul mis commodément à votre disposition. Dans une autre boite, vous actionnez des pans amovibles pour compresser à l'envie le corps emprisonné dedans. La dernière à laquelle j'ai pu jouer, proposait simplement d'envoyer des décharges à différentes parties du corps. Les parties reliées à l'urètre et l'anus semblaient être les plus appréciés par le blondinet qui se jouissait dedans.

Une cloche retentit dans la salle de réception. Silas s'en va trouver un chaperon rangé dans un meuble. Je jette un dernier coup d'œil aux autres jeux, notamment au beau jeu de fléchettes. Je me promets de revenir tout à l'heure.

D'un geste large, Silas enfile le vêtement sur mes épaules, et place la large capuche sur ma tête. Puis alors qu'il me saisit par la taille, nous traversons la salle prestement comme si une averse allait s'abattre subitement sur nous. Il me dit discrètement :

" Rappelle-toi une chose : tu n'es pas, le reflet. "

Je m'attends à comprendre la portée de ces paroles plus tard. Je remarque surtout que les autres invités sont immobiles et silencieux. Ils nous suivent du regard, moi et les autres encapuchonnés, être emmenés vers la porte gardée par un cerbère en smoking. Silas tend notre carton et dit le mot de passe. Dans l'antichambre, je fais glisser ma cape légèrement pour montrer au régent la brûlure à peine cicatrisée sur mon omoplate. Nous entrons.

Scène 30 - L'hôte du Séraphin ( Partie II )

A l'intérieur, Silas fait glisser mon chaperon.

" Je n'en ai plus besoin ?

- Non. "

La pièce est traversée par un trait de lumière oblique. Au centre, il vient frapper un autel d'un noir aussi impénétrable et brillant que l'obsidienne. Devant, se trouve assis un homme d'une stature imposante. Il tient entre ses jambes un tambour et dans ses poings, deux gros marteaux de lin. A ses côtés se dresse le prêtre de la cérémonie dont m'a parlé Silas, et une femme. L'homme, longiligne et chauve, est habillé par des vêtements de satins lestes, cousus de fin brocarts et de perles. La femme, figée dans une majesté hiératique, porte des habits d'un vert émeraude resplendissant.

En cercle, tout autour de ses personnages et de l'autel, se tiennent debout une dizaine de jeunes hommes et de jeunes femmes. Exceptés quatre jeunes hommes, placés les uns en face des autres, ils sont tous entièrement poitrine dénudée, poudrés, maquillés de blanc, et portent des couronnes de plumes. Les quatre autres,  sont recouverts de peinture noire. Ils portent eux aussi une couronne, mais de plumes rouges, et leurs lèvres sont également teintées de rouge.

Tous les arrivants se massent silencieusement derrière les jeunes gens. La plupart gardent la tête baissée. J'entends la porte grincer et se fermer derrière nous. Un moment se passe sans que plus rien ne bouge.

Tonne un coup de tonnerre. La première frappe du tambour est tombée. Le batteur installe une cadence lente. Le prêtre lui, s'est déplacé vers un plateau suspendu devant l'autel.  Je devine, disposés, des objets dorées, des épis de blé, et de grandes herbes. Il allume une lampe d'encens d'où s'élève alors un épais trait de fumée. Fouettant la lampe au bout de son mince chaînon, un premier filet de fumée se dissout et se fane lentement dans l'air. Il entame alors une marche à l'intérieur du cercle circonscrit par les jeunes gens. Il balance sa lampe, et respecte une certaine allure en accord avec le tambour.

Les premières émanations d'huiles et d'herbes se propagent alors vers moi. Sucrées comme du miel, la seconde note est entêtante, comme du thym sauvage. Les parfums se font plus agressif jusque dans ma gorge lorsque le prêtre se déplace dans nos rangs. Il effectue ainsi plusieurs tours et s'arrête de temps à autres en donnant de-ci de-là un objet que je n'identifie pas.

" Qu'est-ce ? demandé-je à Silas "

Silas pose un doigt sur sa bouche, signe de me taire.

Arrivé à mon niveau le prêtre prend ma main, l'ouvre et me donne une sorte de dès à coudre avec une griffe, puis repart.

J'ouvre des yeux incrédules et interrogateurs vers Silas.

Il hoche simplement la tête.

Le prêtre retourne alors au côté du batteur. Ce dernier fait teinter une petite cloche, et la pièce retombe dans un silence complet.

J'entends soudain le bruissement des vêtements. L'assemblée s'est ouvert pour laisser passer une jeune femme. Elle est habillée d'une toilette aux tissus vaporeux. Un homme d'un âge plus mûr l'accompagne et la guide devant l'autel.

La voix de la femme aux vêtements verts s'élève. Son chant ressemble à un appel adressé à un lointain passage. Je ne reconnais pas la langue qu'elle utilise, proche d'une phonation moyen-orientale. Quelque chose en moi répond inexplicablement aux inflexions de cette langue.
Tout à coup, je suis assaillie par les déraillements de sa voix. Ils me dardent comme des lances. Les trillent du chant s'allongent jusqu'à mes pieds. Ils serpentent maintenant jusqu'au creux de mes épaules, s'entortillent à mes bras, frayent et s'installent au creux de mon ventre. Je bascule vers l'avant alors que je suis prise d'une soudaine nausée. Une profonde respiration m'aide à me ressaisir.

Devant nous, l'homme dégrafe les habits de la jeune femme. Les voilettes tombent une à une comme des pétales, jusqu'à la laisser dans sa vulnérabilité nue. Dans la semi-obscurité, sa beauté se diffuse comme une étoile dans la nuit. L'éclat blanc et la tendresse de sa peau sont une ode à la jeunesse, à son innocence et à son esprit immaculé. Ses cheveux d'un blond royal, finement bouclés, sont sertis d'une couronne de houx et de baies rouges. L'expression de son visage est d'un calme étrange.

A cet instant le batteur reprend sa lourde cadence et le prêtre repart embaumer la pièce de nouvelles émanations d'huiles. Entre ses doigts il claque de temps en temps une paire de cymbalettes dont le son me parvient désagréablement aux oreilles. Au passage il allume encore d'autres petites jars d'encens disposées autour de nous.  Mon cœur s'obscurcit, et une certaine confusion d'espace-temps m'inquiète.

Aidée d'une main plus courtoise qu'utile, la jeune femme monte sur l'autel et s'y place à quatre pattes. Le chant s'arrête.

Bras levés vers la rayon qui frappe l'autel, l'homme clame une incantation. Puis au nom de l'assemblée, dans notre langue cette fois, il présente ses salutations à l'est, l'ouest. Puis au nord et au sud. A l'évocation des points cardinaux, les quatre éphèbes noirs rejoignent l'autel. Les autres se mettent à psalmodier des paroles incompréhensibles. En fin de récit, leurs lèvres closes grondent un " Ohm " interminable.
Le chant reprend. Son pouvoir sur moi est plus intense encore, et brouille mon esprit. Je peine à détacher les silhouettes de leurs ombres. Quatre corbeaux semblent sautiller et s'abattre tour à tour sur la jeune femme là-bas sur l'autel. Lorsque le chant s'arrête, je regagne mieux ma lucidité. Je regarde l'un des jeunes éphèbes sombres se replacer au sein du cercle initial, un genou à terre.
Le tambour s'accélère. Un dernier éphèbe manifeste bruyamment son plaisir sur l'autel. Le prêtre, revenu au centre, fait brûler à présent de nouvelles mixtures dans un bol doré. Ils mélangent les herbes, les brins de blés, et passe couper des mèches de cheveux sur les têtes noirs. Il récupère sur son chemin des coulures de sperme laissées dans de petites vasques creusées le long des bords de l'autel.
Il vocifère de nouveaux chants, plus sombres, toujours à l'attention de la lumière oblique tombant sur l'autel. Le batteur ralentit ses frappes et fait tinter à nouveau une cloche. Le chant de la femme qui reprend m'assujettit à une transe.
Amené au bout d'une laisse, un loup trottine vers l'autel. Le prêtre appose ses mains au dessus de la jeune femme et articule silencieusement une prière. Détachée, distante, je ne perçois de la scène qu'une image désincarnée dans les yeux d'un passager clandestin. Les mouvements frénétiques du loup sont les seules incohérences qui se répètent par vagues dans mes pupilles. Tentant vainement de recouvrir mes facultés, j'écarquille les yeux. L'animal grogne, puis se met à couiner. Le chant s'arrête.

Dans la nébulosité ténébreuse, une lame immense étincelle. D'un trait profond et lent l'animal encore en activité au dos de la jeune femme, est égorgé. Une effusion de sang gicle sur la peau blanche, souille les cheveux blonds. Ahurie, je manque de m'effondrer à la vue des lambeaux déchirées et du sang suintant à la gorge de l'animal. Le prêtre recueille le liquide grenat dans un bol, et repart le mélanger à sa décoction. Il retourne par la suite psalmodier auprès de la jeune femme.

Sur mes jambes je faiblis depuis un moment. Ma tête tourne et je suis sur le point de perdre l'équilibre. Le prêtre revient vers notre assistance, versant le liquide de sa décoction dans sa main, il nous en asperge par poignées. Le chant reprend brutalement et une étrange agitation s'empare de l'assemblée. De mon côté, je recouvre des forces. Des forces différentes, mais oppressantes. Les doigts de mes mains se contractent. Dans ma bouche un goût de métal affleure au-devant de mes dents. Ma mâchoire se sert fortement. Je déglutis sèchement. Le prêtre frappe alors deux fois dans ses mains.

Devant moi, et quelques autres, la foule s'écarte. Elle me désigne un chemin menant droit à l'autel. Là, j'aperçois la jeune fille maintenant sur le dos. Malgré les épanchements bruns, un halo émane encore de sa peau blanche. Son bras pend vers moi, son poignet ouvert, sa main. A pas hésitants, hagard,  je m'approche. Tout aussi médusés, les autres rejoignent également l'autel. Certains arrivés plus rapidement sont penchés sur elle. Ils s'agitent convulsivement. Lorsque l'un d'entre eux se tournent vers moi, l'effroi me cogne au ventre. Des yeux orange me scrutent comme une bête, et de sa bouche et de son menton s'échappent de longues coulées de sang. Prise d'un vertige, je suis attirée et horrifiée. Les parfums du sang s'intensifient autour de moi comme un piège et mes babines se retroussent. Je m'amollis alors que me parviennent les odeurs de peau de la jeune fille. Je recule, et tourne la tête pour y échapper. Un miroir m'y attend.

Absorbée par mes yeux orange, je fixe mon image. Je suis fascinée par la fidélité de mon reflet dans le miroir. Mon esprit vire-volte entre lui et moi et se plait à changer mon point de vue. Très vite je perds les repères de ma réalité. Prise d'angoisse, je me fige. J'attends qu'un geste trahisse l'un de nous. Mais rien ne me distingue de mon reflet, et ma détresse s'accentue. Comment une image peut être moi autant que je puis l'être ? Si rien ne me distingue, pourquoi devrais-je me croire l'original ? Suis-je l'original ?
J'essaye d'attraper mon visage dans mes mains. Mes bras ne réagissent pas. Suis-je le reflet ? Je scrute mon visage, je continue d'espérer : rien ne transparait. Immobilisée, perdue entre les deux côtés du miroir, j'ai peur de retenter de bouger. A cet instant, la phrase de Silas me revient en mémoire. Et évacuant toutes mes questions, tous les mots qui s'agglutinent, je m'en remets à un saut de foi, à la simple croyance. C'est ainsi que je m'arrache au miroir. Mais à nouveau face à l'autel, je suis maintenant livrée à la jeune fille, parole anéantie et esprit oblitéré.

Elle me couve d'un regard paisible et d'un sourire doux. Lorsqu'elle me tend sa main, je ne la quitte plus. Je me laisse porter par les vagues de mon inconscience. Sur l'estrade de l'autel, je m'agenouille. Je dépose un baiser sur le dos de sa main, puis retournant son bras, je perce la peau aidée de ma griffe. Mon cœur connait une montée d'ivresse terrible, alors que j'aspire la première perle de sang . Iodé et vineux, le liquide mêlé aux parfums de la peau dominent à présent mes instincts. Entre les doigts de cette voracité, je me presse de trouver une source plus abondante, et d'une première écorchure timide dans la palme de la main, j'en ouvre une plus audacieuse sur le bras, puis une autre auprès de l'épaule que je lèche avidement.

Hissée sur l'autel, j'enjambe le corps, et à genoux je m'applique à tracer une balafre en haut du corsage. La peau fine entre la lame et l'os du sternum s'ouvre délicatement comme une fleur. Je m'en vais par la suite humer son cou, puis fourrager autour de ses cheveux. Je flaire les parfums des racines qui se trouvent à la lisière de son front. Je baise éperdument ses joues avant de chiquer ses lèvres. Lorsque je me relève pour mieux laper les recoins de ma bouche je jette un regard à l'assistance. J'éprouve un profond mépris, puis une certaine vacuité. Dans mon cou une coulée de sang chaud se déploie et gagne lentement mon torse.  Je passe une main chimérique sur mon poitrail sanglant.

Plus bas j'entends les autres maugréer à l'intérieur de ses cuisses. Les tignasses se bousculent, se bagarrent les places vers des chairs encore immaculées.

Un cri jaillit dans la salle. Le sang a commencé à inonder l'autel. Des traînées arrivent désormais au sol jusqu'aux pieds de l'assemblée. Regard absent, je m'en retourne lécher et grignoter les lèvres. Je tombe nez à nez avec ses yeux. Calmes et doux, leur couleur est d'un vert fossile craquelé de lézardes éclatées autour de la pupille et piqué de granules marron. Légèrement plissés, ils semblent naître d'un sourire. Ses paupières qui frétillent par instant me réchauffent étrangement maintenant au dedans. Je tente de m'accrocher aux odeurs du sang avec plus d'avidité pour m'éloigner de cette disposition étrange, mais je suis rattrapée par une dévotion subite qui m'aiguillonne la poitrine. Alors que je suis en proie au doute, ses paupières tressautent et son regard s'immobilise subitement dans le vague.

De mon ventre un cri se propage, plus haut que moi. A genoux je frappe le haut de sa poitrine. Je l'attrape, je la secoue. Les autres se démènent sur son corps inerte. L'un deux commence à la pénétrer frénétiquement. Nous l'embrassons dans la marre de sang qui baigne l'autel. Nous pleurons, nous mugissons, et nous la baisons chacun sans manière. Nous sanglotons si fort entre nos grognements, que nous ne remarquons pas l'arrivée du prêtre et de deux hommes qui viennent la récupérer.
Nous bondissons tous comme une garde autour du corps inerte. Nous feulons, dents sortis, griffes acérées. Deux filets s'abattent sur moi, et un choc électrique m'assomme. Je m'effondre de tout mon poids. Au sol je suis encore sonnée, à moitié consciente.

Transportée dans une cage hors de la salle, je souffre atrocement de la distance qui me sépare du corps inanimée, et tire une main griffue entre les barreaux.

mercredi 8 mai 2013

Scène 29 - Sous la paupière de la finitude

Je me glisse dans l'entrebâillement de la porte laissée ouverte. Dans la loge, allongé sur le divan, il se repose. Sans le maquillage noir qui accentue ses pommettes, il parait si paisible. Lorsqu'il a les yeux fermés, on ne remarque plus sa paupière gauche, la paupière du dragon comme je l'appelle. Elle se soulève mal en raison d'une cicatrice. Les chairs mal repliées sous l'arcade donnent l'impression que de petites écailles ont poussé là. Lorsqu'en scène les lumières tombent sur lui, la première fois on ne comprend pas d'où vient ce regard étrange.

Je m'en vais poser le plateau avec les collations fraîches qu'il a commandées. Sur la chaise je trouve un ouvrage de Jankélévitch que je feuillette distraitement.

" Tu peux le prendre si tu veux. Tu me le rendras quand tu auras fini.

- Oh. Je ne voulais pas me servir. Je suis tombé sur la citation de couverture  qui... me parle un peu.

- Il n'y a pas de problème. C'est un auteur que j'apprécie.   Tu refermeras la porte derrière toi. Je te remercie. "  

Je me dirige vers la porte, quand finalement je reviens vers lui.

" La citation. C'est " Pourquoi seule parmi tous les sens, l'ouïe aurait-elle ce privilège de nous ouvrir un accès vers la chose en soi, et de crever ainsi le plafond de notre finitude ? "  lis-je avec un souffle raccourci en fin de phrase.

- Oui. c'est une belle citation.

- Je... enfin, je me reconnais beaucoup dans cette phrase. C'est un peu ce que je ressens. Je veux dire par rapport à... "

A cet instant, du haut de la pièce mon double me hurle d'arrêter cette phrase. Mais depuis mon ventre, le flot de mots déboule maintenant :

" - ... quand je vous écoute. Je vibre tellement que mon corps se dissout dans l'espace, je vous écoute, je suis au dedans de l'espace. Mon corps n'est plus vraiment... Et... "

Dans ma tête le régime moteur est au mode essorage. J'ai vraiment une sorte de tambour qui tourne à plein, avec un bruit strident dans les oreilles. Je crois même grimacer quand je continue :

" ... et ça ne m'a jamais fait ça avant. Je veux dire, j'aime ce que vous faîtes... et... j'aime aussi d'autres artistes d'ailleurs, mais avec vous, votre voix quand vous chantez, c'est différent. Je veux dire ce n'est pas votre apparence qui compte. Enfin, je veux dire... vous êtes qui vous êtes, et vous êtes beau ... "

Je me crispe soudain en réalisant ce que je viens de dire.

" ...mais, mais... et d'ailleurs, vous pourriez être plus laid... et parfois vous êtes moins beau, et pourtant je vous vois pareil. Enfin, non. Je ne veux pas dire par là que vous pouvez être moche.  "

Aïe. J'ai maintenant les airs et les habits tout propres d'un benêt. Ma poitrine me semble enfler sous le poids de ce que je n'ai pas su exprimer. A ce stade là, j'en ai trop dit ou pas assez. J'ajoute d'un bloc, quitte à me faire virer de l'opéra après tout ça :

" Je veux dire. En fait. J'aime ce vous faîtes sur scène. Quand vous jouez, comme vous habitez la scène lorsque vous vous déplacez. Et puis votre voix lorsqu'elle monte, puis résonne dans la salle... votre voix sur mon cœur joue comme un archet sur un violon. Et lorsque je vibre ainsi, la forme de mon corps importe peu. Lorsque vous chantez je n'ai plus de finitude.. je suis parmi l'infini, dans l'espace, depuis ma place je vois enfin tout... C'est douloureusement beau, cet instant; parce que je suis ému; de me dissoudre ainsi. Parce que vous. "

Une fois terminé, je reste bouche bée. Mordant tout à coup mes lèvres, je regrette. J'ai parlé d'une sincérité naïve. Je suis nu et nul. Je vais simplement être remis à la foule, et je n'aurais plus qu'à partir.

" Je n'ai pas entendu ce que tu m'as dit. Tu peux t'approcher par là au lieu de marmonner vers le mur tu sais... "

Alors un peu renfrogné, je m'approche à un pas de distance du divan, et m'apprête à répéter ce qui me semble à présent un propos creux, quand il bondit soudain et m'attrape par la nuque, m'emportant contre lui pour l'embrasser. Je suis encore si surpris, que je n'arrive pas à percevoir son baiser. Machinalement, je pique sur son cou, puis déboutonne prestement sa chemise. Il me stoppe avec un poignet ferme.

" Quand tu m'as dit tout ça. Tu le pensais vraiment, n'est-ce pas ? Que quelque soit mon apparence... l'absence de finitude du corps dans l'espace... tout ça... m'interroge-t-il alors que sa paupière frétille.

- Je... oui... et puis, moi-même. Enfin... je ne sais si vous allez vraiment... je dois vous dire...  "

Je n'eus le temps de rien dire. Il m'aida à déboutonner sa chemise, et je découvris son bandage, d'où je devinais deux pentes douces. J'ai souri.

"  Ca ne va pas ? Tu préfères arrêter ? "

J'ai fait non de la tête. Et prenant sa main j'ai guidé ses doigts pour qu'il fouille dans mon slip.

Il a ouvert de grands yeux, s'est mordu les lèvres en me regardant, étonné et, pas si désagréablement surpris, me semblait-il. Je lui ai donc demandé :

" Tu préfères arrêter ? "

Il a fait non de la tête avec un grand sourire.

Je l'ai embrassé avec la solennité d'un premier baiser, dont la chaleur est montée jusqu'aux ailes de mes épaules. J'ai enlevé mon t-shirt puis, entrecoupé de nos baisers, nous avons peu à peu retiré les bandages qui enserrait nos poitrine. J'ai cajolé longuement les marques de compressions rouges sur les flancs de son buste, et butiné autour des mamelons. Il est venu trouver mon cou. J'ai ciselé du bout de ma langue ses terribles mâchoires.

Dans ce petit tourbillon simple, je l'ai basculé lentement sur le dos, chemise ouverte. Et sans résister un instant, j'ai plaqué sur lui toute la peau nue, tout mon être. Ce premier contact, épais, ramassé sur nous-mêmes, nous a procuré un soulagement ample. Et agrippés l'un à l'autre, nous nous sommes embrassés longuement.
Entre nos lèvres, se trouvaient des soupirs, des exhalaisons chaudes, des coups de dents.  Dans mes mains sa peau pâle était moelleuse. J'attrapai à pleine pogne les replis rebondis de sa taille. J'y enfonçai avec rage mes ongles et gobait dans sa bouche l'arrivée de son piaillement surpris.
J'étais soudain bouleversé et étrangement colère.  J'essayais de lire dans ses pupilles s'il n'avait pas connu mon affection plus tôt. Ces derniers jours m'avaient saigné dans une lutte si cruelle, si absurde, envers moi-même...

Il riposta à ma poussée d'agressivité. S'emparant de ma taille, il nous fit pivoter pour remettre la situation sous son contrôle. Nous arrivions encore à peine à décoller nos lèvres l'un de l'autre. Nos mains se chamaillaient les découvertes, nos bras bataillaient pour mieux débusquer l'autre. Dans la pièce l'excitation atteint ce point d'indécence, si bruyant, et si égoïste. 
Je profitai d'un relâchement de son attention pour me faufiler plus bas. Passant sous ses cuisses, je disposai à pleines mains de ses fesses généreuses. Je grignotai les épis de poils blonds qui roulaient sur ma langue et m'engageai un peu plus profondément comme un feu follet. Puis serpentant jusqu'à la naissance de son dos, je dévoilai mon appétit pour sa peau et m'arrêtai au niveau de ses omoplates.
Là, comme il était maintenant ceinturé par mon corps, ma queue en embuscade, je lui arrachai une plainte terrible et mordis dans son cou à la déloyale. Il se cabra en arrière. Son bras me balaya à nouveau dos contre le canapé. Me heurtant assez brutalement à l'accoudoir, heureusement rembourré, je n'eus ni le loisir, ni l'envie, de protester lorsque ses canines s'accaparèrent furieusement la lisière de mon épaule et de mon cou.

Il pourlécha un moment la zone endolorie et, alors qu'il faisait miner de traquer une nouvelle piste le long de mon flanc, il prit sans s'annoncer mon sexe dans sa main. Un premier frisson répandit son atroce volupté le long de ma colonne, ce qui me décharna au passage sur le cuir du canapé.
Ses doigts attachés à mon sexe endurci commencèrent une lente glissade sur la peau fine de ma queue; un va-et-vient d'une douceur insupportable. En pâmoison comme un jouvenceau, je me cognai maladroitement le front contre le plat de ma main. Entre ses chatteries et ses baisers, je retenais mal à présent mes gémissements. Ma tête s'agitait sous d'insoutenables tourments physiques et émotionnels. Je perdais parfois les axes qui me rattachaient au monde. Les murs de la pièce semblaient se bosseler et danser, comme un tapis de serpents en perpétuel mouvement.

Quand il inséra un doigt dans mon vagin, je le repoussai assailli par un plaisir trop intense. Il revint comme un affreux coquin ayant trouvé un nouveau délice à satisfaire. Ses ongles vernis de noir pétrirent le bas de mon ventre, puis il attrapa ma queue, pendant que son autre main coulissa généreusement deux doigts courts et épais. Lorsqu'il ne m'embrassait pas, ces lèvres venaient me harceler dans mon plaisir. Elles se tortillaient de malice comme deux chenilles prêtes à me becquer.

Alors que la jouissance envahissait mes reins et mon torse, je désirais maintenant autre chose.  Et le repoussant à nouveau avec tout ce qui me restait de volonté, je le guidai et l'invitai à écarter ses cuisses sur ma taille. Il cambra son buste et récupéra ma queue d'une manière si sensuelle que je chavirais déjà devant l'image, avant de sentir fondre autour moi toute la moiteur chaude de son sexe. Devant son minois, plein d'espièglerie, je mesurais la fierté de son petit effet. 
Il travailla bas sur ses genoux, et sa bouche ne tarda pas à se déformer d'ivresse. Je gémissais moi-même à chaque piston. Lorsqu'il se jeta plus en avant pour mieux développer ses hanches, je me régalais de l'effleurement de ses cheveux rebels sur ma poitrine. Je triturais sa tignasse, respirais les effluves vivaces de son scalpe et de sa sueur.
Mais insatiable, hargneux, j'étais avide de le tenir tout contre moi. Je m'assis donc, glissant mieux sous lui, j'empoignais ses fesses. Je composais maintenant avec les allers-et-venus de ses hanches alors que je le tenais fermement contre ma poitrine. Je le laissais vivre ainsi, ondulant, gémissant son plaisir dans sa bouche collée à la mienne. Je poussais ma queue au plus loin dans les renfoncements humides, soulevais son cul. 
Mû d'une voracité fusionnelle violente et passionnée, je ne respirais rien d'autre que son haleine.

lundi 8 avril 2013

Scène 28 - Le spleen du chasseur ( partie I )


Dans le chenil, les invités particuliers défilent. En couple ou seul, ils lisent les petites fiches accrochées aux barreaux. J'ai vu deux soumis partir avec un couple. Un autre avec un habitué emmailloté tout cuir. Le gars est un old-fashion jusqu'à la casquette, le cul à poils qui prend l'air. Il a choisi une chaîne lourde et un collier épais pour le mignonnet petit soumis qui a rampé hors de la cage jusqu'à ses pieds. J'ai eu quelques frissons en imaginant la trempe qu'il allait recevoir.  

 On ne s'attarde pas trop à lire ma fiche. Dans mon coin, je spleen un peu, la tête entre les jambes à fixer le sol de béton et sa poussière.

Claquent des talons. Une maîtresse. Je n'arrive pas à deviner qui se cache derrière le rythme des pas qui s'approchent de nos cages. Tous les soumis se sont redressés, montrant leurs torses nus et rasés de près, leurs shorts blancs déjà souillés par l'attente dans la cagette étroite.  De mon côté, je n'ai pas envie de jouer le chiot. Du coin de l'oreille, j'entends juste sa voix. C'est une voix qui réchauffe et qui brûle en même temps. Machinalement je secoue la tête pour me libérer l'esprit. Pourtant lorsqu'elle parle à l'un d'entre nous, je suis repris par ses murmures. La voilà maintenant au niveau de mon voisin de clapier. Je vois sa main ornée d'une bague dorée alors qu'elle tend une coupe de champagne. Elle s'amuse d'un détails sur la tenue du soumis. Les rires qu'elles égrènent semblent perler autour de ma cage. Autour de moi, s'installe de nouveaux murs, transparents, qui m'isolent du reste du monde, dans un silence assourdissant. Le silence qu'on entend avant un cri étranger. Dans ce moment suspendu juste avant la tombée de la première goutte de pluie, tout s'arrête brutalement quand j'entends claquer son imposant bracelet contre le barreau de ma cage.  Mon visage tourné de côté, se dérobe à elle. Je ne bouge pas, je ne veux pas bouger. J'ai terriblement peur, et je ne sais pas pourquoi.

- Tu ne donnes pas beaucoup de détails sur ta fiche. Tu seras un peu plus précis tout à l'heure si je te prends avec moi cette nuit ? me demande-t-elle ?

Je ne réponds pas. Je me recroqueville sur moi. Je ferme les yeux. 

- ... et tu n'as pas l'air très bavard, ajoute-t-elle d'un voix amusée. Je ne suis pas certaine de ce que signifie ton attitude, mais si tu veux bien venir avec moi, sors de ta cage.

Je résiste mentalement, mais mon corps me trahit, obtempère et m'emmène entre ses jambes. Mes bras tremblent. Je claque un peu des dents. Ma force se dérobe, mon cul se pose à terre plus lourd qu'une pierre. Alors qu'elle recule d'un pas, je n'arrive pas à me lever. 

Je l'entends aller chercher mon collier et ma laisse. 

Elle parle avec l'homme qui distribue les accessoires. Elle a choisi une muselière à double liens. S'accroupissant auprès de moi, elle me dit :

- Avec ceci tu n'auras pas à trop culpabiliser du traitement que tu m'imposes. Pour un soumis c'est un peu le monde à l'envers. Mais regarde si je dégrafe là, tu pourras à nouveau me parler. Magique!

Alors qu'elle enfile la muselière sur ma tête, elle continue :

- Il va falloir la lever ta tête, maintenant, j'ai besoin de passer cette lanière là dans ta bouche.

J'ouvre la bouche, je déglutis mon peu de salive. Elle place la longe dans ma bouche, et je lève les yeux vers elle, des yeux mouillés. J'ai un sentiment confus. Sans émettre aucun commentaire, elle me lance quelques regards à la dérobade, continuant à ajuster le mors qui gêne mon articulation. Puis levant mon menton, elle finit de poser mon collier.

- Voi-là. Je crois qu'avec ça, nous sommes prêts pour la soirée. Lève-toi maintenant. Nous y allons.

A deux pas d'elle, la tête basse, je la suis. Sous mes paupières, je vois les gens qui attendent encore dans le vestibule. Ils nous regardent passer. Il y en a un qui nous pointe du doigt là-bas. Un coup de longe m'empêche de dévisager trop longtemps l'invité. Elle m'attrape soudain la mâchoire et me parle alors dans les yeux d'un ton sec.

- Je me suis pliée à quelques concessions, mais maintenant il va falloir te rappeler qui tient la laisse et qui la subit. Je te laisse marcher debout, mais si tu traines trop je vais te donner des raisons de trainer à terre toute la soirée. C'est compris ? Maintenant tu avances, tu restes prêt de moi, collé à moi.

Impressionné, je secoue la tête frénétiquement.

Nous entrons. Le brouhaha et la musique m'agressent un temps après tout ce silence à attendre dans le chenil. Dans la salle principale les invités sociabilisent les uns avec les autres. Ma maîtresse se prête à plusieurs salutations légères, avant de rejoindre le bar et de tirer ma laisse pour me signifier de me mettre à ses pieds. Je moisis un peu le temps que le serveur prenne sa commande. Dans la salle d'à côté j'entends la musique et les basses qui tambourinent. Les gens qui en sortent sont en sueur, et la plupart rejoignent eux aussi le bar. Dans les canapés au centre je vois un groupe de soumis avec leurs maîtres et maîtresses. Dans le fond de la pièce, je devine l'agitation d'un autre groupe autour d'un homme et d'une femme qui baise sauvagement en pleine lumière. 

Ma maîtresse se précipite soudain, ne manquant pas de tirer sèchement sur ma laisse, en faisant claquer sa langue. Elle a repéré un ami à elle, qui nous emmène vers la salle au contrebas. C'est une salle plus sombre, ornée de miroirs, où les lumières de deux boules à facettes viennent s'exploser en pluie d'étoiles qui se répètent à l'infini. Ma maîtresse s'installe dans un canapé de cuir fatigué, aux accoudoirs larges, sur lesquels je viens m'asseoir. Elle me lance un regard moqueur, m'attrape fermement par la nuque, et comme si j'étais un chaton balancé dans le vide, m'entraîne joue au sol. Se déchaussant, elle écrase mon visage de son pied. Alors que j'ai vaguement l'impression de perdre toute sensation dans ma joue, tant le sol est froid, je ne me peux pas m'empêcher de me délecter du parfum fuselé que dégagent ses bas. 

Tirant sur ma longe, elle me remonte le long de ses jambes. Je mâchonne mon mors qui commence à me blesser au coin des lèvres. Elle m'installe net, assis à son côté.  

Pendant que ma maîtresse discute, j'engage des petits rapprochements. Je frotte mon épaule contre son mollet. Quand elle passe sa main sur mes épaules noueuses, je réclame une autre caresse en posant ma tête à proximité de sa main. Elle passe alors sa main dans mes cheveux, sur mes lanières de cuir. Je remarque qu'elle commence à me couver de multiples regards, distants, puis, séducteurs, intéressés. J'ose un baiser sur sa jambe. Sans rompre sa discussion elle m'enlève ma muselière. Après avoir ajusté le serrage de mon collier,  elle me caresse le visage de toute sa main, que je lèche reconnaissant. Grattant dans mes cheveux, elle me presse maintenant à nouveau contre ses jambes, attrape ma nuque comme si elle pouvait ainsi la manger. 

Depuis que j'ai senti le parfum ténu de ses bas, j'ai envie d'y retourner. Je lorgne entre ses cuisses. J'aimerais y monter. J'ai des scrupules respectables. Je m'agite. " Il faut rester sage. Rester là sans bouger. " me dis-je. Fier de ma conduite, je jette un regard à ma maîtresse. J'hésite encore, je me frotte contre sa main. Je minaude. Elle me fait boire dans sa coupe et je suis tout ravi. Elle se régale de mes petites simagrées, et répond parfois à mes glapissements par une grosse bouche en coeur.  

Elle porte une jupe de satin noir, des bas à gros pois éparses entre lesquels j'aime deviner sa peau. Elle porte aussi, un bustier, sobrement orné de quelques paillettes noirs. Ses épaules sont couvertes par une veste courte, très ajustée à la taille. On y trouve cousus, de discret motifs floraux dorées, un col haut presque militaire, qui semble vouloir renforcer son statut de domina. Ses lèvres sont très charnelles.  Le rouge carmin qu'elle a choisi en amplifie la sensualité. Les ombres de ses paupières renforcent un regard qui d'un instant de franchise, de tendresse, peut devenir incendiaire ou intransigeant. A mesure qu'on l'aime, on le redoute. Le profil de son nez me plonge dans une admiration contemplative, et lorsque j'en parcours la ligne, qu'il m'amène à son front, j'éprouve un certain regret à être dans ma position. Je n'ai pas décrit ses cheveux. Je ne me suis pas décrit ses cheveux car ils m'arracheraient encore plus d'aveux dans ce moment où je devrais en profiter, et jouir de ma liberté. Ils sont longs. Dans l'obscurité de la pièce, j'en devine encore les rayons. 

Rigoureuse, elle empoigne soudainement ma gueule, me manipule à sa guise, en me regardant sous tous les profils, avant de dire :

- Mais où est-ce que tu as fiché ta tête ? tu es tout noir partout. 

Sortant un mouchoir blanc, et l'humectant de sa salive, elle me débarbouille. Sa mine est grave, elle ne regarde pas dans mes yeux. On dirait qu'elle est à ce moment avec un autre souvenir. Un souvenir douloureux.

Puis d'un éclair, claque un baiser. Elle vient de m'embrasser. 

Cette fois fichant ses yeux dans les miens, elle ouvre à demi ses lèvres et me dévisage. Dans ses yeux je vois les passages de nuages affamés et ravageurs. Entre ses mains j'ai l'impression d'être éventré. L'appréhension s'empare de mon corps, je tremble à nouveau de fébrilité.

- Je crois qu'il est temps que je t'emmène. Il n'est pas nécessaire que tu m'en dises plus. Je sais comment nous allons jouer ensemble. D'abord je dois passer aux toilettes.

Scène 27 - Le spleen du chasseur ( partie II )

Elle se lève et m'entraine avec elle aux toilettes des femmes. Devant le miroir elle s'inspecte, opère quelques retouches de maquillage. Puis se retournant vers moi, elle me dit :

- Tu crois que je n'ai pas repéré ton petit manège autour de mes cuisses tout à l'heure. A genoux!

J'obéis. 

- Viens là!

Je m'approche. Soulevant sa jupe, elle presse ma tête entre ses cuisses.
 
- C'est là que tu veux aller, n'est-ce pas ? minaude-t-elle, satisfaite. 

En haut de ses cuisses, je passe mes doigts sur la dentelle du haut de son bas. Je m'aventure sur la partie qui offre un bout de sa peau nue. Mais surtout j'hume à en exploser ma poitrine, les parfums qu'exhale son slip noir. J'aime cette odeur pesante qui s'infiltre lentement dans mes narines. Elle me nourrit. Elle grouille dans mon corps comme un rapace qui s'ébat sur une charogne.

J'irrite mes lèvres sur la dentelle noire. J'estime la luxuriance de son pubis. Je rêve tant d'y fourrer mon nez, que ma bouche s'engage et s'ouvre pour y goûter. Elle me rattrape par le menton et s'apprête déjà à me faire la leçon, quand finalement elle flanche, et retire son slip, s'asseyant sur le plan du lavabo, jambes éparses. Elle presse impatiemment mon visage contre son sexe ouvert, abondant. Et je le pille sans attendre à coups de langues goulues. 

Entre mes assauts humides et voraces, j'aspire plus intensément les effluves qui me parviennent. Je baise les grandes lèvres de son sexe, lèche ses poils comme s'il s'agissait de la tête d'un chaton. Quand je reviens, un peu plus rassasié, je m'attèle plus consciencieusement à ma tâche, sans toutefois presser l'allure. Je ne veux pas quitter son sexe de sitôt. Repérant l'économie de mes lichettes, ma maîtresse m'accroche par les cheveux :

- Tu vas t'appliquer un peu maintenant, tu ne vas pas t'en sortir comme ça,  j'ai d'autres projets pour toi.

J'exécute alors mon devoir. Son orgasme est à la fois provoquant et voluptueux. Dans la conquête de son plaisir elle arrache quelque chose à l'espace alors que son corps se jette en arrière. Elle presse ma tête contre son sexe, resserre ses cuisses comme un piège à loup sur mes oreilles. J'entends au travers d'un bourdonnement sourd son autre main cogner et grincer contre le miroir. Quand j'ose relever ma tête, son visage est impitoyable, presque diabolique. Je ne saisis pas ce changement. J'ai du mal à  me rappeler de la voix douce qui murmurait si gaiement à la porte de nos cages. 

- Debout ! , darde-t-elle.

En voyant ma queue gonflée, elle fait une mou qui me préoccupe. Elle fouille dans son sac, et en sort une paire de gants en latex noire, qu'elle enfile derechef, ne manquant pas de s'amuser à faire claquer l'élastique.

- Ne bouge pas, me commande-t-elle.

Elle prend mon sexe comme une chose, et m'astique. Mais les allers-venus peu soignés me stressent un peu. Déjà paralysé par la situation, je débande rapidement. Ce qui me vaut une gifle et un air agacé.

- Pardon, maitresse, dis-je dans un souffle.

- Au moins tu sais dire des choses intelligentes. Je devrais te laisser comme ça toute la soirée. Ça te servirait de leçon.

Au lieu de cela, elle se met à genoux, et retirant ses gants, recommence à me lustrer dans sa paume. Ses mouvements sont plus souples, et je redeviens dur. Mon souffle se coupe quand à ma grande surprise elle gobe ma queue jusqu'à la garde et entreprend une pipe généreuse. 
S'emparant d'une main de mes bourses, elle me caresse habilement en même temps qu'elle me suce. Puis d'un mouvement assuré relève mon chargement pour laper jusqu'à mon anus. Je flanche sur mes jambes, et j'ai le cœur qui bat à tout rompre. Quand elle me reprend dans sa main, ses lèvres ouvertes semblent s'offrir comme un bouquet. Son regard dressé vers moi, me grignote, et dans sa poigne je perçois l'avidité de s'accaparer mon orgasme.  Femelle en rut ou  mante religieuse qui à mesure qu'elle s'approche de son but, jauge de son repas alors qu'elle est sur le point d'achever mon expiation. Après quelques léchés le long de mon membre, elle me reprend en bouche. Et comme pour s'assurer de sa prise, elle glisse un doigt qui lamine l'ouverture de mon anus en même temps qu'il lui serre à me ramener toujours plus profond dans sa gorge. 

C'est entre l'anxiété et le délice de cette foudre qui remonte le long  du sexe jusqu'au ventre, que je m'abandonne, alors qu'elle continue de m'avaler sans faiblir la cadence. Je râle au dessus de ma maîtresse, et dans la brouille timide de mon plaisir,  je répète sous forme d'une contrition lascive  " Merci maîtresse, merci maîtresse "

Alors qu'elle s'essuie la bouche du revers, elle remonte vers moi, et recrache avec indifférence mon foutre dans ma bouche. Encore un peu hébété par ma jouissance, je me laisse trôler abruptement par les secousses sèches de ma laisse qui cisaille ma nuque au passage. Nous arrivons devant l'entrée d'une salle obscure. Elle entre et m'y jette à sa suite avant d'allumer et de refermer la lourde porte métallique. Elle rabat le battant qui sonne un instant dans la pièce comme une sentence finale. La pièce est grise car les murs sont en béton nu. C'est une pièce exigüe et agressivement carrée. On s'y sent à l'étroit, et prit au piège. S'y trouve comme souvent, une chaise, en bois clair, et une ampoule.  

- Cela vois-tu, me dit-elle en désignant la petite grille en haut du mur latéral, c'est la seule arrivée d'air. Si tu ne m'amuses plus, je te laisse ici, et je laisserai un filet d'oxygène si ridicule que tu n'arriveras pas même à appeler à l'aide. Maintenant assis toi.

Je m'assois, angoissé.

Ma domina se met à tourner autour de moi, sans me quitter des yeux. Elle engage une discussion intérieure, lève parfois le menton comme si elle s'interrogeait elle-même avant de trouver en elle une réponse qui semble lui convenir. 

Elle accélère son pas. Ma tête bientôt se met à tourner. Je suis nauséeux. Puis soudain, elle se campe derrière moi, et m'enlace, caressant mon buste de mille manières. Je me sens affreusement mal, quand elle se met à susurrer des bouts de phrases qui les unes après les autres ne forment aucun message compréhensible. Les mots qu'elle choisit sont acides, excessifs. Ils rampent dans mon oreille, suintent le long de mon dos. Dans mon ventre je me sens persécuté par des lames sournoises. Mon front se met à perler de sueur. Elle mord subitement mon oreille. Je crie plus fort que nécessaire. Elle m'attrape alors à la gorge et me remonte d'une force insoupçonnée - ou est-ce moi qui ai perdu toute volonté? Elle fiche ses yeux dans les miens méchamment, lèche comme un reptile mon visage de bas en haut, puis me repose sur ma chaise. Et se remet à tourner.


- Je... essayé-je

- Shhh. Elle s'emporte, et lève une main qui siffle dans l'air.

Puis féroce, de nul part elle sort un sac plastique et l'enfile sur ma tête. Par réflexe j'essaie de retirer le sac, mais j'entends ma maitresse gronder. La condensation de ma respiration embue immédiatement les parois translucides. Je ne distingue plus rien de l'extérieur. Je perçois la sueur mêlée de crasse dégouliner de mon front et affleurer au coin de mes lèvres. La sueur me pique aussi les yeux. Je fais mon possible pour garder mon sang froid, mais peu à peu je m'anime à nouveau d'une panique stérile. Mon corps ne sait plus s'il doit fuir ou se reprendre. Puis je deviens tout à coup lourd, et lent. Le rythme de mon cœur lui aussi se casse. Ma domina retire alors le sac de plastique, et je reprends bruyamment une bouffée d'air. Elle m'embrasse sur les lèvres et reprend sa course autour de moi, alors que j'étouffe encore, me balançant d'avant en arrière en essayant de ne pas tomber.  Soudain elle me pince, le buste, les tétons, les cuisses, derrière les genoux, au creux de l'épaule. Elle me mord l'oreille, se met à me cracher dessus. Violente, elle se jette sur ma mâchoire, force ma bouche, et crache longtemps dans ma bouche. Quand elle en a assez, elle me pince à nouveau les tétons, mais cette fois jusqu'à ce que mon hurlement l'insupporte. Ma tête est brulante.

 Glissant un doigt le long ma joue, elle me jettent plusieurs flopées de gifles légères. La frappe s'alourdit peu à peu, et son poing arrive par surprise, cognant le creux de mon ventre et me faisant plier en deux. Puis se positionnant à nouveau derrière moi, elle bascule ma tête vers l'arrière, et dans la lumière je vois l'épingle qu'elle tire d'un pli caché de son bustier. Elle l'enfile d'un geste assuré juste en dessous de mon téton. Mon pied frappe le sol, je me rebiffe un peu. Elle me maintient fermement la tête comprimée contre son bustier, et m'ordonne de me calmer. Prenant son temps, je sens la seconde épingle traverser ma peau sous l'autre téton, puis deux autres au dessus. Je me mets à pleurer. Elle m'agrippe et me parle doucement en caressant ma pomme d'Adam. Elle embrasse mon buste renversé, pendant qu'elle continue à me transpercer d'une épingle au niveau de mon estomac. Elle entame deux longues lignes respectivement sur l'intérieur de mes bras. Et deux verticales sur mon dos. Revenant face à moi, elle défait alors une fine ceinture dissimulée jusque là dans une couture située à la taille de sa jupe. Elle me fait mordre la lanière. Elle sort alors mon sexe, et enfile sous la peau fine une épingle, perpendiculairement à la ligne de mon sexe. Je m'arrache au mugissement réprimé, serrant les dents dans le cuir, qui trempé par ma salive, jute d'un nectar amer. Encore, elle me fait lever, me place ventre sur la chaise. Elle plante alors une épingle sur la peau fine de mon scrotum. Je souffle grossièrement pour retenir un nouveau cri.

Une fois terminée, elle regarde son œuvre, puis capricieuse reprend sa marche autour de moi et de mon cul. Une griffure fulgurante me mâte tout contre le bois de la chaise. Elle vient d'arracher une première épingle sur mon dos brutalement. Puis recommence, inlassablement. A chaque épingle j'accuse le choc, je serre les dents plus fort encore. Je suis sur le point de vomir lorsque le supplice s'arrête. Ahuri, je suis anéanti sur ma chaise. 

Elle me rassoit et entreprend de retirer plus sobrement les autres épingles, pendant que je reprends des forces.

- Est-ce que tu te rends compte du traitement de faveur que tu reçois, de tous les égards dont tu es l'objet ? Réponds, m'ordonne-t-elle, en me soufflant au visage alors qu'elle m'étrangle.

- Oui, maîtresse, dis-je d'une voix imperceptible.

- Oui quoi?

- Oui... je me rends compte du traitement de faveur dont je suis objet. Merci maîtresse, réussis-je à articuler.

Je l'entends chercher le broc d'eau dans le coin de la pièce. Elle me fait boire, avant de se diriger vers l'interrupteur et d'éteindre. Malgré le noir complet, elle parvient sans maladresse à revenir vers moi. Je l'entends faire glisser mon short, ses talons qui claquent quand elle enlève son slip. Puis elle s'installe sur mes cuisses et s'empale sur mon sexe en m'enlaçant fougueusement. Elle me baise sur les oreilles, dans le cou, sur le torse. J'attrape ses cuisses, pour l'aider dans ses mouvements de va-et-vient, mais elle retire vivement mes mains, m'intime de ne pas la toucher, ni de jouir sans son accord. Ce que j'arrive à grand peine à réussir tant ses mouvements de reins sont innombrables et ses caresses passionnées. Enfin elle atteint l'orgasme recherché.

Quand elle allume à nouveau, ma queue me déborde, et je suis encore en train de me contenir en respirant lentement et en focalisant mon attention sur l'obscurité qui n'est plus. 

- Lève-toi 

Elle récupère la ceinture tombée à terre, et la plie une ou deux fois pour obtenir une mèche maniable. Puis se mordant la langue comme une petite fille prête à oser faire une bêtise, elle me fixe de ses yeux mutins, et me fouette sur la queue d'un coup sec. Je ramasse ma souffrance dans un coin de ma tête comme je peux. Elle continue, et je me mets à compter les roustes cuisantes dans ma tête.  Alors que je suis loin, je l'entends frustrée, de m'ordonner de me mettre à genoux face à la chaise. Les coups se mettent à pleuvoir sur mon dos. Soudain elle m'étrangle avec le cuir, et je devine les dents acérés me lancer un sourire de revanche assouvie.

- Tu ne vas pas t'aviser de tourner de l'œil maintenant, au moins? Jusqu'ici nous n'avons rien fait, dis-moi.

Mais il est vrai que je commence à sentir mon corps défaillir. Pourtant je ne veux pas que cette nuit s'arrête. Alors, je secoue la tête pour dire non. 

Elle raccroche la laisse à mon cou, et me balade le long des murs avec elle. Dans mon parcours je remarque des traces de gras, les veines des craquelures, la poussière accumulée. Ma tête lourde me fait parfois m'affaisser vers l'avant. Ma maitresse me redresse d'un soufflet sur la tête lorsqu'elle n'actionne pas sèchement la laisse. Nous parcourons plusieurs fois le tour de la petite pièce carrée, jusqu'à ce que je me recroqueville sur moi-même. Je ne veux plus bouger. Ma maitresse se met alors dans une colère noire, et plusieurs coups de ceinture se remettent à tomber comme de la grosse grêle. Je suis à moitié inerte quand elle m'attrape et me pousse sur le dos en relevant sa jupe. Elle se met alors à uriner. D'abord sur mon buste, puis sur mon visage, ma tête. Elle s'arrête et se calant sur moi, m'ordonne d'ouvrir la bouche et se met à pisser à nouveau. 

J'entends deux coups frapper à la porte métallique. Ma maitresse se lève vivement, pour ouvrir. Deux types barbus aux muscles gonflés, débarquent.
Ma maitresse me rappelle de prononcer le mot de passe si je veux arrêter. Je ne dis rien.

Un des compères me jette littéralement sur son épaule, et écartant la chaise du centre de la pièce, m'y place à quatre pattes. L'un se place devant moi l'autre derrière. Ils m'emboutissent ainsi sous les yeux de ma maitresse. Elle porte la main à son front, posant un regard absent sur moi. Ses lèvres à demi ouvertes semblent frissonner. La porte ayant été laissée ouverte, d'autres personnes se massent autour de nous. 

Malgré notre soirée, ma maitresse est immobile, distante. Ses yeux sont pourtant toujours posés sur moi alors que je me fais démolir chaleureusement des deux côtés. Elle semble retirée en elle-même, isolée au milieu de tout se monde et de moi à côté. 

Plus tard, quand finalement j'ai été épuisé et laissé à mon repos au milieu de la pièce vide, elle est arrivée, s'est installée par terre derrière moi et m'a enlacé. Nous avons dormi ainsi, le reste de la nuit.