dimanche 24 mars 2013

Scène 25 - La Nuit de Vénus ( partie I )

J'ai regardé le feu rougeoyer dans son ombre. Dehors la nuit brune nous bouclait à demeure. L'air appesanti par l'humidité de la campagne ralentissait les lumières, les insectes,  les araignées.  J'entendais fricoter les braises, alors qu'immobile je faisais mon possible pour graver dans ma mémoire, les chimères ondoyantes dans sa chevelure aux mèches capricieuses. 

J'étais sa nuit. Quand elle montait sur son podium, offerte à tous, qu'elle brillait, je savais qu'elle viendrait s'éteindre contre moi. Elle n'aimait pas son nez, trop plat, ou trop là. Ni sa bouche sévèrement critiquée comme étant épaisse et vulgaire, qui se tordait dans des sens qui ne lui plaisaient pas. Elle tirait sur ses oreilles, grimaçait comme un bouddha. Elle n'aimait pas, non plus, l'absence de symétrie entre ses yeux. Qu'un œil dévoila son chagrin et que l'autre déborda de colère. Elle ne savait pas, elle n'arrivait, pas, à choisir lequel il fallait (re)garder. 

Un jour je l'ai trouvée dans la salle de bain, sur le carrelage, triste. Les larmes aux bords des deux yeux cette fois, la morve plein le nez. Elle m'a dit qu'elle avait été trop sage, trop sage quand elle était jeune, et qu'à présent elle ne pouvait plus faire autant de bêtises, que ce temps là était fini. Que le temps c'était pourri. C'était une femme-enfant. Et ça me brisait toujours un peu d'assister impuissante aux étapes de son innocence. C'était moi le vieux à présent. Un jour on devient le vieux. C'est comme ça. Et quand je consolais sa part d'enfant j'avais toujours un peu l'impression de jouir sur un rapport incestueux. Je crois que cela lui plaisait aussi de baiser parfois ce qui pouvait ressembler à sa maman.

Alors que l'activité du feu a augmenté, je me rappelle m'être glissée dans ses cheveux. J'ai écarté doucement la plaine ondulante de pailles et d'or. Sur mes lèvres sa peau brûlait des essences de bois. Je lui ai donné un autre baiser, quand sa tête tombante sur le côté, m'a dévoilé l'arête plongeante vers le creux de son épaule. Mon baiser sur sa peau bouillante a cautérisé la plaie qui ronge. Le désir. 

Elle a tourné son visage vers moi. M'a regardée avec ses yeux, qu'elles n'aimaient pas. Mutine, puis animée par un sourire de dieu pan, elle m'a embrassée. Et ce baiser qui a claqué avec une braise mourante, a été pour moi le souvenir de beaucoup d'autres. De cette nuit là.

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