lundi 8 avril 2013

Scène 28 - Le spleen du chasseur ( partie I )


Dans le chenil, les invités particuliers défilent. En couple ou seul, ils lisent les petites fiches accrochées aux barreaux. J'ai vu deux soumis partir avec un couple. Un autre avec un habitué emmailloté tout cuir. Le gars est un old-fashion jusqu'à la casquette, le cul à poils qui prend l'air. Il a choisi une chaîne lourde et un collier épais pour le mignonnet petit soumis qui a rampé hors de la cage jusqu'à ses pieds. J'ai eu quelques frissons en imaginant la trempe qu'il allait recevoir.  

 On ne s'attarde pas trop à lire ma fiche. Dans mon coin, je spleen un peu, la tête entre les jambes à fixer le sol de béton et sa poussière.

Claquent des talons. Une maîtresse. Je n'arrive pas à deviner qui se cache derrière le rythme des pas qui s'approchent de nos cages. Tous les soumis se sont redressés, montrant leurs torses nus et rasés de près, leurs shorts blancs déjà souillés par l'attente dans la cagette étroite.  De mon côté, je n'ai pas envie de jouer le chiot. Du coin de l'oreille, j'entends juste sa voix. C'est une voix qui réchauffe et qui brûle en même temps. Machinalement je secoue la tête pour me libérer l'esprit. Pourtant lorsqu'elle parle à l'un d'entre nous, je suis repris par ses murmures. La voilà maintenant au niveau de mon voisin de clapier. Je vois sa main ornée d'une bague dorée alors qu'elle tend une coupe de champagne. Elle s'amuse d'un détails sur la tenue du soumis. Les rires qu'elles égrènent semblent perler autour de ma cage. Autour de moi, s'installe de nouveaux murs, transparents, qui m'isolent du reste du monde, dans un silence assourdissant. Le silence qu'on entend avant un cri étranger. Dans ce moment suspendu juste avant la tombée de la première goutte de pluie, tout s'arrête brutalement quand j'entends claquer son imposant bracelet contre le barreau de ma cage.  Mon visage tourné de côté, se dérobe à elle. Je ne bouge pas, je ne veux pas bouger. J'ai terriblement peur, et je ne sais pas pourquoi.

- Tu ne donnes pas beaucoup de détails sur ta fiche. Tu seras un peu plus précis tout à l'heure si je te prends avec moi cette nuit ? me demande-t-elle ?

Je ne réponds pas. Je me recroqueville sur moi. Je ferme les yeux. 

- ... et tu n'as pas l'air très bavard, ajoute-t-elle d'un voix amusée. Je ne suis pas certaine de ce que signifie ton attitude, mais si tu veux bien venir avec moi, sors de ta cage.

Je résiste mentalement, mais mon corps me trahit, obtempère et m'emmène entre ses jambes. Mes bras tremblent. Je claque un peu des dents. Ma force se dérobe, mon cul se pose à terre plus lourd qu'une pierre. Alors qu'elle recule d'un pas, je n'arrive pas à me lever. 

Je l'entends aller chercher mon collier et ma laisse. 

Elle parle avec l'homme qui distribue les accessoires. Elle a choisi une muselière à double liens. S'accroupissant auprès de moi, elle me dit :

- Avec ceci tu n'auras pas à trop culpabiliser du traitement que tu m'imposes. Pour un soumis c'est un peu le monde à l'envers. Mais regarde si je dégrafe là, tu pourras à nouveau me parler. Magique!

Alors qu'elle enfile la muselière sur ma tête, elle continue :

- Il va falloir la lever ta tête, maintenant, j'ai besoin de passer cette lanière là dans ta bouche.

J'ouvre la bouche, je déglutis mon peu de salive. Elle place la longe dans ma bouche, et je lève les yeux vers elle, des yeux mouillés. J'ai un sentiment confus. Sans émettre aucun commentaire, elle me lance quelques regards à la dérobade, continuant à ajuster le mors qui gêne mon articulation. Puis levant mon menton, elle finit de poser mon collier.

- Voi-là. Je crois qu'avec ça, nous sommes prêts pour la soirée. Lève-toi maintenant. Nous y allons.

A deux pas d'elle, la tête basse, je la suis. Sous mes paupières, je vois les gens qui attendent encore dans le vestibule. Ils nous regardent passer. Il y en a un qui nous pointe du doigt là-bas. Un coup de longe m'empêche de dévisager trop longtemps l'invité. Elle m'attrape soudain la mâchoire et me parle alors dans les yeux d'un ton sec.

- Je me suis pliée à quelques concessions, mais maintenant il va falloir te rappeler qui tient la laisse et qui la subit. Je te laisse marcher debout, mais si tu traines trop je vais te donner des raisons de trainer à terre toute la soirée. C'est compris ? Maintenant tu avances, tu restes prêt de moi, collé à moi.

Impressionné, je secoue la tête frénétiquement.

Nous entrons. Le brouhaha et la musique m'agressent un temps après tout ce silence à attendre dans le chenil. Dans la salle principale les invités sociabilisent les uns avec les autres. Ma maîtresse se prête à plusieurs salutations légères, avant de rejoindre le bar et de tirer ma laisse pour me signifier de me mettre à ses pieds. Je moisis un peu le temps que le serveur prenne sa commande. Dans la salle d'à côté j'entends la musique et les basses qui tambourinent. Les gens qui en sortent sont en sueur, et la plupart rejoignent eux aussi le bar. Dans les canapés au centre je vois un groupe de soumis avec leurs maîtres et maîtresses. Dans le fond de la pièce, je devine l'agitation d'un autre groupe autour d'un homme et d'une femme qui baise sauvagement en pleine lumière. 

Ma maîtresse se précipite soudain, ne manquant pas de tirer sèchement sur ma laisse, en faisant claquer sa langue. Elle a repéré un ami à elle, qui nous emmène vers la salle au contrebas. C'est une salle plus sombre, ornée de miroirs, où les lumières de deux boules à facettes viennent s'exploser en pluie d'étoiles qui se répètent à l'infini. Ma maîtresse s'installe dans un canapé de cuir fatigué, aux accoudoirs larges, sur lesquels je viens m'asseoir. Elle me lance un regard moqueur, m'attrape fermement par la nuque, et comme si j'étais un chaton balancé dans le vide, m'entraîne joue au sol. Se déchaussant, elle écrase mon visage de son pied. Alors que j'ai vaguement l'impression de perdre toute sensation dans ma joue, tant le sol est froid, je ne me peux pas m'empêcher de me délecter du parfum fuselé que dégagent ses bas. 

Tirant sur ma longe, elle me remonte le long de ses jambes. Je mâchonne mon mors qui commence à me blesser au coin des lèvres. Elle m'installe net, assis à son côté.  

Pendant que ma maîtresse discute, j'engage des petits rapprochements. Je frotte mon épaule contre son mollet. Quand elle passe sa main sur mes épaules noueuses, je réclame une autre caresse en posant ma tête à proximité de sa main. Elle passe alors sa main dans mes cheveux, sur mes lanières de cuir. Je remarque qu'elle commence à me couver de multiples regards, distants, puis, séducteurs, intéressés. J'ose un baiser sur sa jambe. Sans rompre sa discussion elle m'enlève ma muselière. Après avoir ajusté le serrage de mon collier,  elle me caresse le visage de toute sa main, que je lèche reconnaissant. Grattant dans mes cheveux, elle me presse maintenant à nouveau contre ses jambes, attrape ma nuque comme si elle pouvait ainsi la manger. 

Depuis que j'ai senti le parfum ténu de ses bas, j'ai envie d'y retourner. Je lorgne entre ses cuisses. J'aimerais y monter. J'ai des scrupules respectables. Je m'agite. " Il faut rester sage. Rester là sans bouger. " me dis-je. Fier de ma conduite, je jette un regard à ma maîtresse. J'hésite encore, je me frotte contre sa main. Je minaude. Elle me fait boire dans sa coupe et je suis tout ravi. Elle se régale de mes petites simagrées, et répond parfois à mes glapissements par une grosse bouche en coeur.  

Elle porte une jupe de satin noir, des bas à gros pois éparses entre lesquels j'aime deviner sa peau. Elle porte aussi, un bustier, sobrement orné de quelques paillettes noirs. Ses épaules sont couvertes par une veste courte, très ajustée à la taille. On y trouve cousus, de discret motifs floraux dorées, un col haut presque militaire, qui semble vouloir renforcer son statut de domina. Ses lèvres sont très charnelles.  Le rouge carmin qu'elle a choisi en amplifie la sensualité. Les ombres de ses paupières renforcent un regard qui d'un instant de franchise, de tendresse, peut devenir incendiaire ou intransigeant. A mesure qu'on l'aime, on le redoute. Le profil de son nez me plonge dans une admiration contemplative, et lorsque j'en parcours la ligne, qu'il m'amène à son front, j'éprouve un certain regret à être dans ma position. Je n'ai pas décrit ses cheveux. Je ne me suis pas décrit ses cheveux car ils m'arracheraient encore plus d'aveux dans ce moment où je devrais en profiter, et jouir de ma liberté. Ils sont longs. Dans l'obscurité de la pièce, j'en devine encore les rayons. 

Rigoureuse, elle empoigne soudainement ma gueule, me manipule à sa guise, en me regardant sous tous les profils, avant de dire :

- Mais où est-ce que tu as fiché ta tête ? tu es tout noir partout. 

Sortant un mouchoir blanc, et l'humectant de sa salive, elle me débarbouille. Sa mine est grave, elle ne regarde pas dans mes yeux. On dirait qu'elle est à ce moment avec un autre souvenir. Un souvenir douloureux.

Puis d'un éclair, claque un baiser. Elle vient de m'embrasser. 

Cette fois fichant ses yeux dans les miens, elle ouvre à demi ses lèvres et me dévisage. Dans ses yeux je vois les passages de nuages affamés et ravageurs. Entre ses mains j'ai l'impression d'être éventré. L'appréhension s'empare de mon corps, je tremble à nouveau de fébrilité.

- Je crois qu'il est temps que je t'emmène. Il n'est pas nécessaire que tu m'en dises plus. Je sais comment nous allons jouer ensemble. D'abord je dois passer aux toilettes.

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