mercredi 8 mai 2013

Scène 29 - Sous la paupière de la finitude

Je me glisse dans l'entrebâillement de la porte laissée ouverte. Dans la loge, allongé sur le divan, il se repose. Sans le maquillage noir qui accentue ses pommettes, il parait si paisible. Lorsqu'il a les yeux fermés, on ne remarque plus sa paupière gauche, la paupière du dragon comme je l'appelle. Elle se soulève mal en raison d'une cicatrice. Les chairs mal repliées sous l'arcade donnent l'impression que de petites écailles ont poussé là. Lorsqu'en scène les lumières tombent sur lui, la première fois on ne comprend pas d'où vient ce regard étrange.

Je m'en vais poser le plateau avec les collations fraîches qu'il a commandées. Sur la chaise je trouve un ouvrage de Jankélévitch que je feuillette distraitement.

" Tu peux le prendre si tu veux. Tu me le rendras quand tu auras fini.

- Oh. Je ne voulais pas me servir. Je suis tombé sur la citation de couverture  qui... me parle un peu.

- Il n'y a pas de problème. C'est un auteur que j'apprécie.   Tu refermeras la porte derrière toi. Je te remercie. "  

Je me dirige vers la porte, quand finalement je reviens vers lui.

" La citation. C'est " Pourquoi seule parmi tous les sens, l'ouïe aurait-elle ce privilège de nous ouvrir un accès vers la chose en soi, et de crever ainsi le plafond de notre finitude ? "  lis-je avec un souffle raccourci en fin de phrase.

- Oui. c'est une belle citation.

- Je... enfin, je me reconnais beaucoup dans cette phrase. C'est un peu ce que je ressens. Je veux dire par rapport à... "

A cet instant, du haut de la pièce mon double me hurle d'arrêter cette phrase. Mais depuis mon ventre, le flot de mots déboule maintenant :

" - ... quand je vous écoute. Je vibre tellement que mon corps se dissout dans l'espace, je vous écoute, je suis au dedans de l'espace. Mon corps n'est plus vraiment... Et... "

Dans ma tête le régime moteur est au mode essorage. J'ai vraiment une sorte de tambour qui tourne à plein, avec un bruit strident dans les oreilles. Je crois même grimacer quand je continue :

" ... et ça ne m'a jamais fait ça avant. Je veux dire, j'aime ce que vous faîtes... et... j'aime aussi d'autres artistes d'ailleurs, mais avec vous, votre voix quand vous chantez, c'est différent. Je veux dire ce n'est pas votre apparence qui compte. Enfin, je veux dire... vous êtes qui vous êtes, et vous êtes beau ... "

Je me crispe soudain en réalisant ce que je viens de dire.

" ...mais, mais... et d'ailleurs, vous pourriez être plus laid... et parfois vous êtes moins beau, et pourtant je vous vois pareil. Enfin, non. Je ne veux pas dire par là que vous pouvez être moche.  "

Aïe. J'ai maintenant les airs et les habits tout propres d'un benêt. Ma poitrine me semble enfler sous le poids de ce que je n'ai pas su exprimer. A ce stade là, j'en ai trop dit ou pas assez. J'ajoute d'un bloc, quitte à me faire virer de l'opéra après tout ça :

" Je veux dire. En fait. J'aime ce vous faîtes sur scène. Quand vous jouez, comme vous habitez la scène lorsque vous vous déplacez. Et puis votre voix lorsqu'elle monte, puis résonne dans la salle... votre voix sur mon cœur joue comme un archet sur un violon. Et lorsque je vibre ainsi, la forme de mon corps importe peu. Lorsque vous chantez je n'ai plus de finitude.. je suis parmi l'infini, dans l'espace, depuis ma place je vois enfin tout... C'est douloureusement beau, cet instant; parce que je suis ému; de me dissoudre ainsi. Parce que vous. "

Une fois terminé, je reste bouche bée. Mordant tout à coup mes lèvres, je regrette. J'ai parlé d'une sincérité naïve. Je suis nu et nul. Je vais simplement être remis à la foule, et je n'aurais plus qu'à partir.

" Je n'ai pas entendu ce que tu m'as dit. Tu peux t'approcher par là au lieu de marmonner vers le mur tu sais... "

Alors un peu renfrogné, je m'approche à un pas de distance du divan, et m'apprête à répéter ce qui me semble à présent un propos creux, quand il bondit soudain et m'attrape par la nuque, m'emportant contre lui pour l'embrasser. Je suis encore si surpris, que je n'arrive pas à percevoir son baiser. Machinalement, je pique sur son cou, puis déboutonne prestement sa chemise. Il me stoppe avec un poignet ferme.

" Quand tu m'as dit tout ça. Tu le pensais vraiment, n'est-ce pas ? Que quelque soit mon apparence... l'absence de finitude du corps dans l'espace... tout ça... m'interroge-t-il alors que sa paupière frétille.

- Je... oui... et puis, moi-même. Enfin... je ne sais si vous allez vraiment... je dois vous dire...  "

Je n'eus le temps de rien dire. Il m'aida à déboutonner sa chemise, et je découvris son bandage, d'où je devinais deux pentes douces. J'ai souri.

"  Ca ne va pas ? Tu préfères arrêter ? "

J'ai fait non de la tête. Et prenant sa main j'ai guidé ses doigts pour qu'il fouille dans mon slip.

Il a ouvert de grands yeux, s'est mordu les lèvres en me regardant, étonné et, pas si désagréablement surpris, me semblait-il. Je lui ai donc demandé :

" Tu préfères arrêter ? "

Il a fait non de la tête avec un grand sourire.

Je l'ai embrassé avec la solennité d'un premier baiser, dont la chaleur est montée jusqu'aux ailes de mes épaules. J'ai enlevé mon t-shirt puis, entrecoupé de nos baisers, nous avons peu à peu retiré les bandages qui enserrait nos poitrine. J'ai cajolé longuement les marques de compressions rouges sur les flancs de son buste, et butiné autour des mamelons. Il est venu trouver mon cou. J'ai ciselé du bout de ma langue ses terribles mâchoires.

Dans ce petit tourbillon simple, je l'ai basculé lentement sur le dos, chemise ouverte. Et sans résister un instant, j'ai plaqué sur lui toute la peau nue, tout mon être. Ce premier contact, épais, ramassé sur nous-mêmes, nous a procuré un soulagement ample. Et agrippés l'un à l'autre, nous nous sommes embrassés longuement.
Entre nos lèvres, se trouvaient des soupirs, des exhalaisons chaudes, des coups de dents.  Dans mes mains sa peau pâle était moelleuse. J'attrapai à pleine pogne les replis rebondis de sa taille. J'y enfonçai avec rage mes ongles et gobait dans sa bouche l'arrivée de son piaillement surpris.
J'étais soudain bouleversé et étrangement colère.  J'essayais de lire dans ses pupilles s'il n'avait pas connu mon affection plus tôt. Ces derniers jours m'avaient saigné dans une lutte si cruelle, si absurde, envers moi-même...

Il riposta à ma poussée d'agressivité. S'emparant de ma taille, il nous fit pivoter pour remettre la situation sous son contrôle. Nous arrivions encore à peine à décoller nos lèvres l'un de l'autre. Nos mains se chamaillaient les découvertes, nos bras bataillaient pour mieux débusquer l'autre. Dans la pièce l'excitation atteint ce point d'indécence, si bruyant, et si égoïste. 
Je profitai d'un relâchement de son attention pour me faufiler plus bas. Passant sous ses cuisses, je disposai à pleines mains de ses fesses généreuses. Je grignotai les épis de poils blonds qui roulaient sur ma langue et m'engageai un peu plus profondément comme un feu follet. Puis serpentant jusqu'à la naissance de son dos, je dévoilai mon appétit pour sa peau et m'arrêtai au niveau de ses omoplates.
Là, comme il était maintenant ceinturé par mon corps, ma queue en embuscade, je lui arrachai une plainte terrible et mordis dans son cou à la déloyale. Il se cabra en arrière. Son bras me balaya à nouveau dos contre le canapé. Me heurtant assez brutalement à l'accoudoir, heureusement rembourré, je n'eus ni le loisir, ni l'envie, de protester lorsque ses canines s'accaparèrent furieusement la lisière de mon épaule et de mon cou.

Il pourlécha un moment la zone endolorie et, alors qu'il faisait miner de traquer une nouvelle piste le long de mon flanc, il prit sans s'annoncer mon sexe dans sa main. Un premier frisson répandit son atroce volupté le long de ma colonne, ce qui me décharna au passage sur le cuir du canapé.
Ses doigts attachés à mon sexe endurci commencèrent une lente glissade sur la peau fine de ma queue; un va-et-vient d'une douceur insupportable. En pâmoison comme un jouvenceau, je me cognai maladroitement le front contre le plat de ma main. Entre ses chatteries et ses baisers, je retenais mal à présent mes gémissements. Ma tête s'agitait sous d'insoutenables tourments physiques et émotionnels. Je perdais parfois les axes qui me rattachaient au monde. Les murs de la pièce semblaient se bosseler et danser, comme un tapis de serpents en perpétuel mouvement.

Quand il inséra un doigt dans mon vagin, je le repoussai assailli par un plaisir trop intense. Il revint comme un affreux coquin ayant trouvé un nouveau délice à satisfaire. Ses ongles vernis de noir pétrirent le bas de mon ventre, puis il attrapa ma queue, pendant que son autre main coulissa généreusement deux doigts courts et épais. Lorsqu'il ne m'embrassait pas, ces lèvres venaient me harceler dans mon plaisir. Elles se tortillaient de malice comme deux chenilles prêtes à me becquer.

Alors que la jouissance envahissait mes reins et mon torse, je désirais maintenant autre chose.  Et le repoussant à nouveau avec tout ce qui me restait de volonté, je le guidai et l'invitai à écarter ses cuisses sur ma taille. Il cambra son buste et récupéra ma queue d'une manière si sensuelle que je chavirais déjà devant l'image, avant de sentir fondre autour moi toute la moiteur chaude de son sexe. Devant son minois, plein d'espièglerie, je mesurais la fierté de son petit effet. 
Il travailla bas sur ses genoux, et sa bouche ne tarda pas à se déformer d'ivresse. Je gémissais moi-même à chaque piston. Lorsqu'il se jeta plus en avant pour mieux développer ses hanches, je me régalais de l'effleurement de ses cheveux rebels sur ma poitrine. Je triturais sa tignasse, respirais les effluves vivaces de son scalpe et de sa sueur.
Mais insatiable, hargneux, j'étais avide de le tenir tout contre moi. Je m'assis donc, glissant mieux sous lui, j'empoignais ses fesses. Je composais maintenant avec les allers-et-venus de ses hanches alors que je le tenais fermement contre ma poitrine. Je le laissais vivre ainsi, ondulant, gémissant son plaisir dans sa bouche collée à la mienne. Je poussais ma queue au plus loin dans les renfoncements humides, soulevais son cul. 
Mû d'une voracité fusionnelle violente et passionnée, je ne respirais rien d'autre que son haleine.

Aucun commentaire: