dimanche 6 avril 2014

Scène 36 - L'appartement ( partie III )

*****

Il est 1h du matin :

Le jeune homme dort dans le salon. La femme entre dans l'appartement accompagnée d'une jeune fille. Elles avancent doucement vers le sofa pour le surprendre.

La femme fait glisser lentement les couvertures. Il se réveille avec un léger sursaut à la vue des deux sphinx planquées à la lisière du canapé.

- oh il dormait déjà !

Elle allume la petite lampe du salon et lui présente d'un signe de tête la jeune fille.

- N'est-elle pas jolie ?

Il ne répond rien et regarde tour à tour les deux silhouettes.

- La même, mais avec quelques années de moins. Cela te plaît ?  ...

Elle n'obtient pas de réponse. Elle continue, un brin agacé :

Ce que tu peux être nigaud parfois. Alors... ? embrasse-là ! qu'est-ce que tu attends ? embrasse-là.

Il reste indécis.

- Oh... bien, si je fais cela ?

Elle s'approche et embrasse la jeune fille, et reprends :

- Eh bien là. Tu n'en as pas envie ? Tu ne la désires donc pas ?

Il se redresse, presque embarrassé. La jeune fille monte le rejoindre sur le canapé. Il reste interdit, regarde la femme avec un visage sans expression, et embrasse avec mollesse la jeune fille. Mais le premier baiser en appelle un autre, et les caresses se déploient. Les vêtements tombent, et la jeune fille, alors descendu entre ses cuisses, se met à lui faire une fellation.

Postée derrière lui, la femme lui caresse le torse et les tempes. Abandonné à son désir, il se laisse faire, quand soudain la femme les interrompt pour les emmener dans la chambre. 

*****
Au réveil :

La femme est assise, légèrement penchée au dessus de lui lorsqu'il ouvre les yeux.  Lorsqu'elle s'aperçoit de son réveil, elle démarre d'un coup de sang :

- Bien visiblement cela t'a plu ! lui dit-elle avec aigreur. J'espère que tu en as bien profité. Maintenant tu prends tes cliques et tes claques et tu dégages. Je ne veux plus de toi ici.

Sa véhémence a réveillé la jeune fille :

- Oh puis toi aussi, tu dégages ! Je n'ai pas que ça à faire de trainer avec des bébés de votre âge !

Le jeune homme se lève lentement, et va pour ramasser les quelques affaires éparses au sol. Puis immobile, il réalise :

- Je ne voulais pas. Je... Je n'aime que vous. Vous le savez. je croyais que...

- Oh ça suffit ses pleurnicheries. Depuis plusieurs jours ton amour est devenu cette pleurnicherie incessante. " Il est laid. " Tu, es laid !  Je ne veux plus te voir. Tu me déprimes ! ...  Tu comprends ça ? Tu me déprimes !

Elle l'attrape par le coude, l'emmène dans le salon et lui colle dans les bras d'autres affaires qui trainent.

La jeune fille, indifférente, part nonchalamment de son côté, elle s'habille.
Pendant qu'il rassemble ses affaires dans le salon, elle sort de l'appartement.

- oh dépêche-toi ! dit-elle les mains nerveuses. Dépêche-toi, je n'ai pas que ça à faire !  J'ai rendez-vous cet après-midi.

Le rouge aux joues il réagit avec un brin de révolte :

- Avec qui ?   ... Avec qui avez-vous ce rendez-vous ?

- ça ne te regarde plus. ça ne t'a jamais regardé d'ailleurs.

- Avec qui ? insiste-t-il en l'attrapant à son tour violemment. Dites-moi !

Elle le repousse. Et grinçante, amusée elle glousse :

- Oh mais lâche-moi ! ... mais qu'est-ce qu'il te prend !  ...  Ce n'est plus le moment de faire le jeune homme plein d'assurance et de virilité.

- Je ne bougerai pas.

- Sors ou j'appelle la police, lui répond-t-elle soudain sèchement.

Il la regarde avec un visage plus clair que ces derniers jours. Il respire fortement.

- Je ne voulais pas.  Ne me mettez pas dehors...

- C'est trop tard. ... Sors.

Il abandonne et quitte l'appartement.

*****

Assis à une table de café.

Dans ses oreilles il y a tant de silence. Pourtant la vie tourne encore. Les serveurs s'agitent, les chaussures claquent au sol, la télé semble même sautiller sur son petit rebord, là-haut accroché au mur, derrière le bar. Tout est pourtant si calme en lui, tout est si éloigné.  Il retourne dehors, entamer une marche, pour quitter cette torpeur. Mais rien ne bouge en lui-même. Et autour, tout parait faux. La rue est un décors animé d'un charivari de sons qui ne s'appartiennent pas. Les hommes et les femmes se ressemblent. Et ce silence en lui qui enfle et le tient maintenant par les tempes!

 Il est enfermé dehors. Tout devient si lourd, et ses jambes, ses jambes n'y tiennent plus. Dans le square vers lequel il a marché sans vraiment s'en rendre compte, il y a ce banc. Alors il s'assoit. Le soleil tourne autour de ses épaules jusqu'au soir.

*****

La nuit. Il fait nuit. Le square va fermer. Dans la rue, sous les néons oranges, ses yeux voient bien mieux qu'en journée. Il respire mieux, caché par l'ambiguïté des lumières. Il marche droit devant, puis il se perd. Pas vraiment, mais... quelque chose en lui se perd. Alors il revient. Il revient sur ses pas. Et tant qu'il ne se retrouve pas, il ne s'arrête pas de revenir. Et lorsqu'enfin il se sent mieux, qu'il respire, il est devant la porte qu'il a fermé au matin. Il demeure là, dans la pénombre. La fenêtre de la cage d'escalier laisse entrer un rayon de lune.

Il écoute la musique de l'appartement. Elle, qui marche de la salle de bain à la cuisine. Les froissements de sa robe de chambre lorsqu'elle revient dans le salon. Elle qui passe parmi les objets. Le craquement du canapé lorsqu'elle s'assoit et se relève pour revenir vers la chambre. L'interrupteur qui éteint la vie de l'appartement.

Longtemps après, il s'assoit sur une marche. Se recroqueville et trouve en lui le réconfort d'être encore à quelques mètres d'elle.

*****

Quand il se réveille, ou plutôt qu'il se relève de cette nuit de somnolence, il est encore tôt. Le soleil brille d'un éclat terrible, et le ciel est aussi vibrant qu'un ciel jeté sur la mer en été. Il rejoint la rue, et se résout à rejoindre l'appartement d'un ami.

Sur son chemin, il croise un fleuriste. Il achète une plante verte, et sans réfléchir vraiment retourne à l'appartement. Il dépose la plante devant la porte. Il écrit trois mots, et part. Hausse les épaules. Un cadeau d'adieu peut-être.

Dans la rue, il se sent plus léger. Il est ravi de pouvoir profiter du soleil de si bonne heure.  

Son portable sonne.

- Tu es où ?

- Je suis... Je vais en direction du métro. ...

- ...

- Tu veux... vous voulez que je vienne ?

- ...   Tu fais comme tu veux.

Elle raccroche.

Il voit le soleil. Il le voit bien. Il voit le ciel bleu. Il le voit bien. Et puis il s'en détourne. Il retourne à l'appartement.

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