dimanche 6 avril 2014

Scène 36 - L'appartement ( partie I )

Ses mains avaient toute autorité sur moi. Qu'elles caressent ou punissent, je traversais la même volupté.

Quand je l'ai rencontrée, j'ai su que commençaient mes derniers jours. Voyez-vous, je suis porteur de cette maladie de tempérament, celle de vouloir mourir par amour. J'avais déjà échappé plus d'une fois à cette déchéance promise, quand ce jour-là, lorsqu'elle est arrivée devant moi, c'en était fini. L'entaille était faite. Si j'avais essayé de fuir, je serais mort exsangue, seul, dans une allée. Il fallait accepter. C'était le moment d'accepter.  J'en avais fini de combattre ce sort. 

Quelque part j'étais soulagé de me rendre enfin; de ne trouver plus d'autre issue que de lui appartenir. Cette fin en valait bien une autre, après tout.

" - Je ne vous aime pas. Je dis cela maintenant pour me rappeler de ce moment qui est sur le point de disparaitre.

Que vous m'aimiez j'en mourrai, que vous me détestiez, j'en mourrai. "

Un court instant, elle m'a toisé d'un regard moqueur. Puis elle a levé son menton avec un intérêt d'oiseau de proie. Je n'ai rien lu dans ses yeux, je n'ai rien lu sur ses lèvres. Elle voulut bien de moi à ses côtés.

Elle me prit à son service comme secrétaire personnel. Elle prétendit auprès de ses amis qu'une faiblesse grandissante justifiait ma présence constante auprès d'elle. Aucuns ne trouvèrent à douter de ses explications.

Je m'étais donc installé dès le lendemain de notre rencontre, au 104 de la rue rosière dans le 14e arrondissement de Paris. Elle n'avait pas de chambre d'ami et je n'eus pas d'espace à moi. Je fis parti du sien. Je vivais au milieu de ses allers et venues dans l'appartement, au rythme de ses réveils et de son coucher.

Oui. Chaque journée était différente, mais chaque nuit la même; lorsqu'elle apparaissait en peignoir de soie gris perle, quelques instants avant que je n'éteigne la petite lampe du salon où je dormais. Elle venait prendre le journal et repartait sans un mot. Chaque soir.

*****
Il est 18h :

" - Dis-moi que tu m'aimes. Non, non... dis moi...  combien et comment tu m'aimes.

- Je ne connais plus aucun répit de l'amour depuis que je vous ai rencontrée. Il me traque sans cesse, du matin jusque dans mon sommeil. Vous êtes tour à tour ma joie et mon inquiétude. Je vous aime tant, que j'ai oublié qui j'étais. Qui vous aime.

Dans le silence, alors qu'elle regarde le dos de sa main entre deux soupirs, il continue :

- Il n'y a que votre personne et votre beauté qui puissent égaler l'amour qu'il suscite. Devant lui, et devant vous, par extension, je me sens laid. Cette laideur et comme une tâche qui grandit chaque jour. Cela me fait souffrir. Car chaque jour j'ai plus envie encore de vous épargner la vue de ce monstre hideux qui prend forme. Je voudrais me cacher, sans vous perdre, mais comment faire ?  Ce tourment me donne le sentiment d'être un impie, un égocentrique, un ingrat, devant un soleil qui resplendit chaque matin plus encore. Et devant...

- Oui, oui, oui...       ...     ...      Ce soir je ne t'ai pas dit, je dîne avec Jean-Marie. Nous nous reverrons tard, bien après le coucher, à moins que je ne rentre demain matin. ... Tu m'attendras ? Tu auras mal ?

- Oui beaucoup.

- J'y prends goût. ... Tu me pleuras ? Tu pleuras beaucoup?

- Oui

- A minuit je penserai à toi, peut-être.

- ...

- Tu ne dis rien. Surtout si tu veux te tuer ce soir attends-moi. Attends-moi s'il-te-plaît. J'aimerais au moins te dire au revoir.

- Oui

- Tu sais que je t'aime

- Vous m'aimez ?

- Non, je dis ça comme ça.  ... *Elle sourit contente d'elle-même*

Fais moi couler un bain."
*****

Certaines nuits, de rares nuits, elle vient me trouver dans la pénombre du salon. Elle attrape le col de ma chemise et nous glissons tous deux sur le canapé.

A certains moment je crois ne plus l'aimer. Mais à l'instant suivant je réalise le mirage. Vidé, et désespéré, esclave brut, aux yeux hagards, je ne possède de la liberté qu'un souvenir vague et éteint. Et lorsque le mouvement de notre étreinte commence, au milieu des gestes que je calcule avec tant de dévotion pour lui procurer ce dont elle a besoin, j'attends et j'espère qu'un des siens scelle encore un peu plus mon sort.

Il m'arrive aussi parfois, d'être si timide devant la fragilité de sa taille. Ses bras chétifs m'enlacent comme un tour de corde mal ajusté, qu'un simple geste pourrait facilement défaire. A la vue des replis lestes de son cou, je ne suis que tendresse. Et lorsque mon regard se porte au coin de ses yeux je me sens anobli de partager les secrets de sa faiblesse. Je n'aime rien d'autre que sa peau malmenée par le temps. Je n'aime rien d'autre lorsque la nuit nous efface du temps.

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