samedi 27 décembre 2014

Faren Wio - Rencontre - 1

A l'approche des caméras de l'immeuble, Taert camouflait au mieux la détresse qui aurait pu se lire sur son visage. Au scanner d'entrée de l'immeuble il présenta sa requête  :

-Taert Ligan. Sonner chez Sadie Fray.

L’écran indiqua l’enregistrement de la demande, sa vérification, puis un signal sonore lui indiqua le processus en cours de mise en relation, très vite interrompu par :

-  Oui ? fit une voix à l’interphone
-  C’est Taert. Je suis arrivé. Et... je suis plutôt chargé.
-  Bien sûr. Entre.

Un buzz indiqua le déverrouillage de la porte.

Sadie suivait sur son moniteur Taert en train de se diriger vers l'ascenseur, suivi de près par une valise de grand volume. Quelques instants après, la cabine d'ascenseur stoppait à son étage. Elle ouvrit et les vit remonter le couloir jusqu'à elle.

Il entra dans le vestibule, puis se dirigea dans le salon faiblement éclairé par les lueurs extérieurs d'une fin d'après-midi grisonnante. La valise avait suivi sa trace. Elle s'était parquée au milieu de la grande pièce. Sadie ferma la porte d'entrée,  puis celle du vestibule juste avant d'imploser  :

- Tu te fous de moi ? La police interne vient à peine de me lâcher, et tu m'en ramènes un autre ? 
- Tu t'es engagée à nous aider et je n'avais personne à qui la confier dans les parages. On a pas eu le temps de recruter quelqu'un d'autre, expliqua Taert. Je l'ai repéré tout à l'heure. Franchement je ne pensais pas qu'il en sortirait tout de suite un autre. C'est inattendu, et inespéré !  Il se passe quelque chose au Centre. Elle est notre moyen d'en savoir plus.
- Oui donc tu es venu chez moi... et avec " elle ". D'ailleurs, Elle ?...
- " Elle ", oui. Cette fois c'est une fille... Elle avait des agents du Centre a ses trousses, comme l'EDRA de la dernière fois. Mais aussi ceux de la garde Sénatoriale !  Je devais la cacher rapidement.
- Tu es venu directement ?demande Fray alarmée.
- Bien sûr que non !  On a tourné entre la banlieue de Selic et Ayos pour en perdre un maximum. Puis j'ai lancé les derniers sur deux fausses pistes grâce aux nouveaux anti-trackers. On est revenu dans ton quartier une heure après. Personne ne nous a suivi. J'ai suivi le protocole.

Devant le silence exaspéré de Fray, Taert reprit :

- C'est juste l'histoire d'une semaine. Le temps que j'informe les autres et surtout que nous préparions son arrivée dans le nouveau quartier général. Nous n'avons pas encore fini de bouger notre équipement...

Fray leva les yeux au plafond :

- Vos trois détecteurs de moustiques ? se moqua Fray avant de marquer une pause.  ...  Je dois aller au poste. Après la perte du premier, apparemment ils ne sont pas près de lâcher celui-là. Même le commissariat a été mobilisé pour la retrouver. On m'a appelé dix minutes avant que tu arrives. Je dois y aller maintenant, sinon ça va paraître suspect.

Taert s'approcha de la valise et fit glisser lentement l'ouverture latérale :

- Tu peux sortir. Ici tu es en sécurité.

La jeune femme se déplia péniblement, mais émergeait visiblement avec hâte du bagage.  Ce qui la distinguait rapidement outre ses cheveux courts en bataille, était ses gestes et son expression : volontaire et très renfermée. Elle cachait mal la tension de son inquiétude. Ces yeux aux iris verts cerclés de bleu vous happaient plusieurs secondes une première fois, puis se détournaient définitivement pour ne revenir que très rarement vers vous.
Une fois sortie de la valise, elle sonda rapidement la pièce de tous côtés. Par intermittence elle venait recueillir les réactions de Sadie devant son investigation à la volée.

Taert reprit d'une voix convaincante :

- Je t'assure qu'il n'y a rien à craindre ici.

  S'adressant à Fray :

-   Elle comprend globalement, mais elle ne parle pas assez notre langue pour communiquer.  Le temps qu'elle apprenne un peu mieux... Il te reste des pilules de la dernière fois ?
- Oui, il m'en reste.  Autrement je devrais en trouver dans mes affaires de voyage.
- Je sais que c'est encore délicat à ton commissariat. Mais si tu pouvais faire entrer son identité dans le système collectif local assez vite ?... ça nous permettrait de circuler plus rapidement quand on la récupéra.
- Depuis qu'on a fait entrer la fiche de l'autre EDRA, ils sont sur leur garde. A mon avis avec celui là qui vient de sortir, c'est la première chose qu'ils vont surveiller étroitement, et tous les inspecteurs qui y ont accès avec.  Demande à Ulrick. Il a fait un bon travail sur mon système. Mais je lui conseille de créer une fiche dans le système général cette fois, avec une généalogie complète. Sa fiche passera mieux inaperçue.
- C'est plus difficile et ça demande aussi plus de temps... Si il a besoin d'un code pour aller plus vite, il peut compter sur toi ?
- On verra. Laisse moi d'abord voir comment les choses se passent au commissariat.
- Je sais à quoi je t’expose... dit enfin Taert après une courte pause.

- Où est-ce que tu l’as trouvée ? demanda Fray sans vouloir s'attarder à croire ce soudain intérêt pour les risques qu'elle prenait.
- A trois blocs du Centre. Elle courrait vêtue de cet...habit bleu, comme le premier. On a réussit à récupérer d'autres vêtements malgré la traque.

Devant le nouveau silence de Fray, Taert reprit.

- Tu es la seule en qui j’ai assez confiance, et accessoirement tu es aussi la seule à part moi et Ulrick avec un système de surveillance domestique neutralisé convenablement.
- Quelle chance.
- On va y arriver.
- Optimiste Taert.
- Jusqu’à mon retour veille sur elle et fais attention à ce qu’elle ne sorte pas. Elle a essayé de me fausser compagnie au début… D’ici là je pense qu' Ulrick aura terminé de créer les profils et ses cartes d’accès, assura Taert alors qu'il rejoignait la porte pour sortir.

-  Hey ! Avant de partir. Elle a un nom.. l'EDRA ? demanda légèrement caustique, Fray.
- Elle dit s’appeler " Färhen Wio "
- Faren Wio... ? Wio, comme ?... Fray détourna légèrement la tête alors qu'elle comprimait la venue d'un sourire au coin de sa bouche.
- Oui comme les boîtes de céréales... Ecoute, je ne sais pas d'où lui vient cette idée. Elle a peut-être vu une affiche quand elle s'est échappée. ... Tout ce qui compte c'est qu'elle se sente en sécurité. Alors ne dis rien. Je reviens dans une semaine.

Taert fila dans le couloir avant de s’engouffrer dans l’ascenseur.

Sadie se retourna vers Faren, attrapa un de ses poignets avec beaucoup de délicatesse, prit une pile de magazines, et l’emmena s’asseoir à la tête du lit. Un clic attira l'attention de Faren vers son poignet :

- Je suis désolée pour les menottes. Mais je dois filer au commissariat. Alors jusqu'à mon retour : tu feuillettes, tu dors, et tu ne bouges pas.

Surprise par la manoeuvre, Faren protesta en grognant et en tirant sur la menotte attachée au barreau du lit. Sadie fit cesser son agitation en immobilisant ses bras et en lui indiquant de la regarder dans les yeux. Une fois captée son attention elle articula posément :

- J'ai hâte de t'entendre jurer dans notre langue vu l'énergie que tu mets à grogner. Mais je n'ai pas le temps de commencer par la phase on se rencontre, on discute, on rit on pleure etc...

Faren secouait la tête pour dire qu'elle ne comprenait pas.

-  Je sais que tu ne comprends pas, et les menottes ne sont peut-être pas le meilleur signe d'accueil cordial, mais, calme toi. Je reviens. Je te promets, tout va bien.

Faren soupira, fit une moue et une claque de dépit avec sa langue.

-  Bien ! finit Sadie avant d’attraper son gilet et son arme. J'y vais cette fois.

Et la porte claqua derrière elle.


Faren regardait autour d’elle.

Il n'y avait qu'une autre porte à part celle menant au vestibul. Dans l'entrebâillement on devinait un sol carrelé : probablement celui d'une salle d'eau.  Autrement l'appartement se résumait à cette pièce et au petit hall d'entrée. Face au lit, un buffet en bois s'étirait le long du mur. Deux gros fauteuils trônaient autour d'une petite table face à la grande baie vitrée.
L’appartement disposait d'une large vue sur la ville. Depuis sa place,  Faren pouvait en apprécier le paysage. Elle passa beaucoup de temps à détailler l'horizon et les immeubles alentours. A vue de nez, elle estimait se trouver vers le 40e étage. Lassée un moment par l'extérieur, elle songea à ouvrir ces magazines laissées à sa portée. Mais la fatigue tombait sur ses épaules. Elle préféra s'allonger et sombrer dans le sommeil.

Dans ce sommeil, une torpeur vint se loger au milieu de sa poitrine. Il lui sembla que l'action de vagues harassantes venaient la rouler d'un côté, puis de l'autre.
Elle ne trouva aucun repos jusqu'à l'apparition étrange d'une chaleur douce, et apaisante. Les vagues se muèrent alors en un doux roulis précédés de la cendre sonore des lentes marées qui avancent sur le sable et repartent dans la nuit. Elle distinguait à présent cette plage éclairée par le croissant frêle de la lune. Il y avait aussi des parfums chauds et de miel, les mèches d'une chevelure noire qui venaient se prendre dans ses lèvres. Un visage flottait, souriait et repartait dans la nuit brune.
Ses reins se détendirent, sa respiration se libéra, et ses bras s'animèrent de plus en plus précisément autour d'une masse noire mais ... qui lui sembla soudain peser de tout son poids...  Elle se réveilla, consciente tout à coup de la présence de quelqu'un sur elle. Elle repoussa l’intrus de sa main libre.

- Hééé ! Du calme ! entendit-elle alors que la pénombre avait maintenant pris sa place dans la salon. 

Quelqu'un s'assit sur le lit et alluma la lampe de chevet :

- Tu n’aimes pas ce genre de réveil ?

L'intrus mis à distance était une jeune femme qui ressemblait à celle qui se trouvait dans son rêve.

Faren fronça les sourcils en guise de réponse.

- oh ! je suis désolée... je ne voulais pas te faire peur...  Je pensais que Sadie t'avais laissée pour moi...   Elle t'a oubliée au bord du lit ou tu es vraiment mon petit cadeau de retour ? demanda-t-elle très excitée.

Faren lui indiqua les menottes.

- Tu n'es pas très bavarde.  ... Attrapant le poignet de Faren :  Ah.  Oui mais ça ne m'en dit pas plus. Sinon que Fray t'a laissée au bord de notre lit, et avec ses menottes en plus...

Examinant Faren :

- C'est bizarre. Tu n'es pas comme les autres. Et puis je te lis très facilement. Pourquoi es-tu si effrayée ?...

Approchant la lampe de son visage, elle continua son monologue  :

- Décidément tu es spéciale. Tu dois forcément être mon cadeau.  Elle ne m’en voudra pas si je prends un peu d’avance... Tiens regarde à l'intérieur de ma main, fit-elle, alors qu'elle tendait sa paume vers Faren.

- Tu ne vois donc rien ? insista-t-elle, encourageant Faren à regarder plus attentivement au centre de sa paume.

Faren recueillit sa main avec hésitation, puis passa le bout de ses doigts sur les jointures fines et la surface plane de la palme. La jeune fille posa alors son autre main sur l'épaule de Faren, et vint lui souffler à l'oreille des phrases au timbre si sucré que Faren s'en sentit confuse.  Elle tenta de l'ignorer en regardant avec plus de concentration la paume qu'elle tenait dans sa main. Mais dans cette paume, elle discerna entre stupeur et émerveillement l'apparition d' un papillon dont les ailes vivaces se mirent à battre au rythme de ce qui lui semblait être le sien. La main de la jeune fille, qu'elle perçut alors soudainement si étrangement froide, glissa autour de son cou, et malgré la danger que lui indiquait son souffle court, Faren se laissa pousser sans résistance contre le lit, en suivant dans sa chute, l'envolée du papillon vers la ville.

Dans une semi-conscience, ses gestes n'avaient plus aucune incidence, et son corps agissait avec une volonté propre qu'elle peinait à questionner. Elle embrassait l'obscurité qui prenait parfois forme ou qui autrement, s'évaporait dans une sensation qui s'appartenait elle-même et décidait de la mesure de ses caresses en retour. Elle tenta plusieurs fois de batailler avec les restes éparpillés de sa conscience. Mais en vain, le corps arrivait au beau milieu du langage comme une bourrasque, balayant toutes les bribes d'une parole construite et tous les liens qu'elle aurait pu reprendre. Pendant les phases de repos de son combat intérieur, elle observait depuis sa place, la danse charnelle à laquelle se livrait son corps. Il lui semblait qu'il essayait par la même occasion de la séduire, de la convaincre de se rendre, à ce rêve... " sans conséquences... ".        

Une voix autoritaire gronda comme un coup de tonnerre dans l'épaisseur de cette confusion  :

" Thea ! Mais qu'est ce que tu fais ?

- Mais, Fray !...  " 

Faren se sentit soudain chuter dans le vide et perdit immédiatement connaissance.

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